On verra au cours de cette description de la journée monastique que chaque geste, chaque détail de la vie du moine exprime quelque chose de précis, porteur d’une certaine idée de Dieu et de l’homme. Sans doute, la vie du moine reste mystérieuse et l’on ne dévoilera pas son mystère, mais il est loisible de s’en approcher et, qui sait ? de saisir le secret d’une aventure spirituelle qui se dérobe aux regards, mais qui dure depuis plus de quatorze siècles.
“Une journée monastique à l'Abbaye Sainte-Madeleine du Barroux”, tel est le thème de ce film réalisé par Eddy Vicken et Yvon Bertorello, avec la participation de Michael Lonsdale.
3 h 20 - Le Frère réglementaire sonne une cloche intérieure qui retentit dans tous les couloirs de cellules. Le lever de nuit est une de nos principales observances. Les moines, à l’exemple de Notre- Seigneur, ont toujours aimé prier la nuit. Jadis les Pères du désert se réveillaient au son de la trompe.
On a juste dix minutes pour prendre un chandail s’il fait froid, revêtir la coule (manteau de chœur) et descendre de tous les coins du monastère pour prendre place dans les stalles.
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3 h 30 - Debout, tournés vers l’autel, on attend le signal du Père Abbé (deux petits coups secs sur l’accoudoir), et l’hebdomadier entonne le verset Domine, labia mea aperies, “Seigneur, ouvrez mes lèvres, et ma bouche annoncera votre louange”.
Un frère commence alors au milieu du chœur le psaume 94, appelé ‘invitatoire’ : Venite, exsultemus Domino, “Venez, exultons devant le Seigneur, jubilons d’allégresse ; adorons-le, prosternons-nous et pleurons devant sa face !” Puis, le capuce rabattu sur la tête, douze psaumes à chœur alterné vont défiler recto tono, c’est-à-dire sans inflexion de voix, à la différence de la psalmodie chantée. Ces douze psaumes sont entre-coupés de lectures dont le nombre varie selon l’importance de la fête.
Que se passe-t-il alors, sinon un colloque intime, où l’âme s’épanche devant Dieu dans un sentiment de supplication et d’amour : “Comme le cerf altéré soupire après les sources d’eau…” (psaume 41). Et Dieu lui répond : “Je suis ton Seigneur, je t’ai tiré de l’Egypte ; ouvre ta bouche et je la remplirai” (psaume 80).
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4 h 30 - Lectio divina. Ce mot savant, en usage dans les milieux monastiques, désigne tout simplement la lecture ou l’étude d’un texte portant sur la connaissance des choses de Dieu. Cette ‘lectio’, toujours précédée d’une prière au Saint-Esprit, va de la lecture d’Écriture Sainte aux ouvrages de spiritualité, en passant par l’étude de la théologie, pour ceux qui se préparent au sacerdoce.
5 h 30 - Les frères font leur lit et leurs ablutions, balayent leur cellule, et attendent le signal de Laudes.
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6 h 00 - Office de Laudes. C’est la première prière du matin. Cet office commence invariablement par le psaume 66, chant très joyeux qui exprime avec force l’éclat de la louange divine par toute la terre. Puis vient la série des psaumes récités recto tono, déterminés par le chapitre XIII de la Règle, série qui s’achève toujours par le psaume 150, où la répétition du mot Laudate (louez) a donné son nom à l’office. Laudes étant achevé, le P. Abbé entonne l’Angélus.
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Après l'office de Laudes, les Pères célèbrent leur messe lue. Les voilà qui se glissent silencieusement dans la pénombre pour rejoindre avec leur servant le petit autel où ils vont renouveler pour la gloire de Dieu et le salut du monde entier, d’une façon non sanglante mais infiniment réelle, le sacrifice sanglant du Calvaire.
7 h 45 - Prime. À la fin de l'office, trois psaumes suivis du De profundis chanté en procession nous amènent au chapitre, où l'on écoute un passage de la Règle de saint Benoît, suivi d’un bref commentaire du P. Abbé.
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8 h 30. Après un temps de travail en commun consacré à l'épluchage des légumes, les Frères remontent en cellule.
Novices et scolastiques vont maintenant reprendre leurs études : les postulants font du latin (rosa, la rose), les novices ont un cours de spiritualité avec leur Père Maître, et les scolastiques étudient leur matière de théologie ou d’Écriture Sainte. Les frères (profès non prêtres) se réunissent au chauffoir, où les attend leur Père Maître, avec lequel ils étudient un auteur, par exemple saint François de Sales. Certains jours, c’est le Père Sous-Maître qui leur parle des Pères de l’Église ou des prières de la messe.
9 h 15 - Premier coup de cloche annonçant la messe conventuelle ; si c’est une fête majeure, la messe est à 10 h, et c’est le grand carillon qui nous en avertit. L’uniformité de l’observance monastique est ainsi rompue par une multitude de détails qui varient d’une saison ou parfois d’un jour à l’autre, ce qui permet à la lumière divine, en traversant le prisme de l’année liturgique, de toucher les âmes selon des nuances différentes.
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9 h 25 - La station : la cloche égraine quelques coups par de petits tintements discrets. Chacun revêt sa coule (sa chape s’il n’est pas profès), ce vêtement de chœur qui transforme le moine en statue immobile. Instant de recueillement sans lequel il ne peut se présenter à ce rendez-vous solennel de l’Eglise avec son Seigneur.
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Au son de la cloche, la procession s’ébranle et entre dans l’abbatiale : voilà l’instant le plus solennel de la journée.
Toute communauté, même si elle est peu nombreuse, sait qu’elle annonce l’entrée de l’Église triomphante dans le sanctuaire céleste.
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Cette messe conventuelle réunit donc tous les moines pendant une ou deux heures selon la solennité du rite. Mais chaque phase de la messe correspond à une action bien distincte : la communauté, successivement, processionne, écoute, chante, offre, supplie, adore, communie.
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Le rite le plus solennel est celui de la messe pontificale ; elle est célébrée par le Père Abbé, revêtu des ornements pontificaux, mitre, crosse et tunicelle, entouré du prêtre assistant, du diacre, du sous-diacre et des autres officiants : en tout dix-neuf personnes qui évoluent autour de l’autel, dans le sanctuaire tout illuminé.
La liturgie est vraiment le theatrum sacrum dont parlaient les anciens : une chorégraphie où le geste, le chant, la parole, tout monte vers Dieu.
C'est ce qu'enseigne saint Grégoire : “À l’heure du Sacrifice, le ciel s’ouvre à la voix du prêtre. Les chœurs des anges sont présents, ce qui est en haut vient rejoindre ce qui est en bas, le ciel et la terre s’unissent, le visible et l’invisible ne font qu’un.”
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12 h 15 - Après avoir consacré la fin de la matinée aux études ou au travail manuel, les moines se rassemblent à l'église au son de la cloche. L’office de Sexte ne comprend que trois psaumes suivis de l’Angélus, mais c’est l’opus Dei, l’œuvre de Dieu, l’œuvre dont Dieu est l’inspirateur, la raison d’être et la fin.
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12 h 30 - La communauté part en procession pour le réfectoire, où les repas sont comme des cérémonies.
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Pendant que les religieux entrent au réfectoire le P. Abbé procède au lavement des mains des hôtes. Deux novices sont préposés pour le seconder : l’un tenant l’aiguière, l’autre le linge qui servira pour le séchage des mains. Cette coutume très ancienne est encore en vigueur dans la plupart des monastères. Le P. Abbé peut ainsi saluer les hôtes de passage et leur dire un mot de bienvenue, comme un bon père de famille reçoit ses invités.
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Le repas commence toujours par une lecture d‘Écriture sainte. La voix du lecteur recto tono se fait entendre dans un silence de règle, ami du recueillement.
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Puis on déplie son couvert pour commencer le repas. Souvent nos hôtes nous demandent quel est notre menu quotidien. C’est très variable : il y a les jours de fête, où l’on garde quand même l’abstinence, mais toujours marqués par une faveur culinaire, puis les jours simples à base d’œufs ou de poissons avec un plat de légumes (plus fromage – fruits). Enfin il y a les jours de jeûne, marqués le soir par un peu de rigueur (une soupe et une pomme).
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14 h 30 - L’office de None vient d’être achevé. Les moines remontent en cellule, troquent leur habit noir pour la tenue de travail, et chacun va rejoindre l’emploi qui lui est assigné où il se dépensera jusqu’à Vêpres. Ce qu’on appelle emploi dans notre vocabulaire monastique désigne les divers corps de métiers qui font vivre le monastère. La devise “ora et labora” prend ici toute sa signification : le labeur, c’est-à-dire le travail manuel, fait partie de nos observances ; c’est l’offrande de nos corps qui s’ajoute à l’oblation spirituelle des âmes.
Quels sont les divers emplois du monastère? Les voici en vrac : menuiserie, boulangerie, mécanique, bibliothèque, cuisine, lingerie, service des hôtes, infirmerie, librairie, buanderie, électricité, reliure, cordonnerie, culture des oliviers, de la vigne et du potager. Les moines ont été de tout temps à la fois des lettrés et des paysans. Mais tout travail a sa noblesse : Jésus était charpentier, Paul de Tarse raccommodait des filets et Bernard de Clairvaux apprit à manier la faucille.
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17 h 30 – C'est l'heure des Vêpres. Les jours de fêtes, elles sont chantées par le Père Abbé au trône.
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Pendant ce temps, les jours de fêtes, ont lieu les encensements : un des diacres assistants encense tour à tour le célébrant et le Père Abbé puis le thuriféraire encense les moines et les fidèles. Tout baptisé étant membre du Christ reçoit cet honneur qui lui rappelle la grandeur de sa vocation surnaturelle : ne sommes-nous pas tous des fils de Dieu en marche vers la patrie céleste ? Telle est la leçon sublime qui se dégage de nos rites sacrés.
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18 h 00 : En temps ordinaire, la communauté consacre la demie-heure qui suit à l'oraison. “L'oraison, nous dit dom Romain Banquet jaillit des entrailles de l'Office divin. Elle ne doit être que la dégustation et la digestion de la liturgie”.
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18 h 30 : Le dîner rassemble la communauté pour une brève collation.
19 h 20 : Les diverses tâches accomplies (vaisselle, rangement de la cuisine) la communauté se rassemble dans la salle capitulaire : réunion de famille, au cours de laquelle le Père Abbé donne quelques nouvelles du monde, qui seront toujours des intentions de prières pour les moines. Elle s'achève par une lecture tirée d'un auteur spirituel.
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19 45 : Une dernière procession rassemble la communauté dans l'église abbatiale pour le chant des Complies : apaisement du soir, dans la douceur du Salve Regina qui termine l’office.
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20 h 30 : Extinction des feux. Un frère est chargé de fermer les portes, un autre d’éteindre les lumières. Les hôteliers ont souvent à régler quelques précisions pour le service des hôtes qui partiront tôt le lendemain matin. À la sacristie, il y a encore quelques ornements à préparer.
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Tout, depuis la fin de Complies, se passe dans le grand silence, qui règne jusqu’aux Laudes du lendemain matin. Maintenant la journée est finie. Une dernière prière à l’ange gardien, et les moines s’endorment, le chapelet autour du poignet, dans un sentiment de confiance propre aux enfants de Dieu.
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