(ANONYME)
VIES DE CONTANTIN (Cyrille)
ET DE METHODE
Cyrille ou Constantin le Philosophe, (né vers 827-828 à Thessalonique (Salonique) et décédé le 14 février 869 à Rome) et son frère Méthode, évêque de Sirmium (né vers 815-820 à Thessalonique et décédé le 6 avril 885 en Grande Moravie), sont connus comme les Apôtres des Slaves, c'est-à-dire ceux qui ont évangélisé les peuples slaves de l'Europe centrale. L'Église catholique romaine fête les deux saints le 7 juillet. L'Église orthodoxe fête la natalice de Cyrille le 14 février, celle de Méthode le 6 avril et la synaxe des deux saints Égaux aux apôtres le 11 mai, mais l'Église orthodoxe de Tchéquie et de Slovaquie les fêtent aussi le 7 juillet.
Constantin n'a pris le nom de Cyrille que juste avant sa mort.
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VIE DE CONSTANTIN.
Le quatorzième jour du mois de février.
Mémoire et Vie de notre bienheureux docteur Constantin le Philosophe,
premier éducateur du peuple slavon.
Père, donnez votre bénédiction!
CHAPITRE I.
Dieu miséricordieux et indulgent, qui patiente jusqu'à ce que les hommes introduction, aient fait pénitence pour que tous soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité — car il ne désire pas la mort du pécheur même endurci dans le mal, mais sa pénitence et sa vie — (Dieu) ne permet pas que le genre humain défaille, succombe aux tentations du démon et périsse. A toutes les époques, dans tous les temps, il ne cesse au contraire de nous accorder sa grâce multiple, et il l'a fait depuis les origines jusqu'à nos jours, d'abord par l'intermédiaire des patriarches et des Pères, puis par les prophètes, et après eux par les apôtres et les martyrs, par des hommes justes et savants qu'il a choisis dans cette vie toute troublée. Car, comme il l'a dit, le Seigneur connaît les siens, ceux qui sont bien à lui: « Mes brebis entendent ma voix, et je les connais, et je les appelle par leurs noms, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle. » Et c'est ce qu'il a fait aussi dans notre race en nous donnant un tel Maître, celui qui a éclairé notre nation dont la faiblesse obscurcissait la raison ou qui, plutôt, séduite par le diable, ne voulait même pas marcher à la lumière des commandements divins. Sa Vie, même contée en raccourci, montrera ce qu'il était afin qu'en l'entendant celui qui le voudra devienne pareil à lui, c'est-à-dire, après avoir banni la paresse, plein de ferveur, conformément à la parole de l'Apôtre: « Soyez mes imitateurs comme je suis celui du Christ. »
CHAPITRE II.
Dans la ville de Thessalonique vivait un homme noble et riche qui s'appelait Léon et qui était revêtu de la dignité de drongaire sous les ordres du stratège. Il était orthodoxe et observait scrupuleusement les commandements divins, tel Job autrefois. Il vivait avec son épouse qui lui avait donné sept enfants, dont le plus jeune, le septième, fut Constantin, notre maître et notre docteur. Après sa naissance celui-ci fut confié à une nourrice pour être élevé; mais pendant toute la période de l'allaitement, le petit ne voulut pas prendre d'autre sein que celui de sa mère. C'était là quelque chose de providentiel pour que l'enfant, bon rejeton d'une bonne souche, fût nourri d'un lait pur. Puis, ces excellent parents se mirent d'accord pour ne plus user du droit conjugal et s'imposer la continence. Ils vécurent ainsi dans le Seigneur comme frère et sœur, fidèles à leur décision, pendant quatorze ans, jusqu'à ce que la mort les eût séparés. Et quand lui fut appelé à comparaître devant le tribunal, la mère pleurant sur son petit garçon disait: « Je n'ai pas de plus grande préoccupation que cet enfant; comment l'élever? » Mais il lui dit: « Crois-moi, mon épouse, j'ai confiance en Dieu qui lui donnera pour père et recteur celui qui gouverne tous les chrétiens. » Et c'est ce qui arriva.
CHAPITRE III.
A l'âge de sept ans l'enfant eut un songe qu'il raconta ainsi à son père et à sa mère: « Le stratège ayant rassemblé toutes les jeunes filles de notre ville me dit: Choisis librement, parmi elles, l'épouse digne de toi qui pourra te servir de soutien. Les ayant toutes regardées et attentivement considérées, j'en distinguai une — la plus belle — dont le visage resplendissait, qui était magnifique sous sa riche parure d'or et de pierres précieuses et qui s'appelait Sophia, c'est-à-dire la Sagesse. C'est elle que je choisis. » L'ayant entendu, ses parents lui dirent: « Fils, observe la loi de ton père et ne rejette pas l'enseignement de ta mère; car l’obligation de la Loi [est une] lampe et une lumière? Dis à la Sagesse: Sois ma sœur et jais de l'intelligence ton amie: car la Sagesse resplendit plus que le soleil? et si tu l'amènes à toi pour qu'elle soit ton épouse, tu seras par elle libéré de nombreux maux. »
Et quand ils l'eurent confié aux instituteurs, il devança tous les élèves dans les lettres, excellant par sa mémoire rapide, à l'étonnement de tous.
Un jour, suivant l'usage des enfants des riches, amateurs de chasse, il sortit avec eux dans les champs, emmenant son faucon. Quand il l'eut lâché, un vent dû à la divine providence souleva et emporta [l'oiseau]. L’enfant en fut tout rempli de tristesse et de douleur et, pendant deux jours, il ne prit aucune nourriture. Ainsi Dieu miséricordieux mû par son amour des hommes, ne voulant pas l'habituer aux choses de cette vie, s'est facilement emparé de lui. De même qu'il s'était jadis emparé de Plakidas à l'occasion d'une chasse au cerf, de même il s'est emparé de Constantin en se servant d'un faucon. Méditant sur la vanité de cette vie, l'enfant fit pénitence et dit: « La vie est donc ainsi faite qu'au lieu de joie, ce soit la douleur qui vienne? Dès aujourd'hui je suivrai une autre route, meilleure que celle-ci et je ne perdrai plus mes journées dans les troubles de cette vie. »
S'étant voué à l'étude, il restait dans sa maison, apprenant par cœur les livres de Saint Grégoire le Théologien. Il fit sur le mur le signe de la croix et écrivit en l'honneur de Saint Grégoire un encomion ainsi composé: « O Grégoire, vous qui êtes homme selon le corps, mais ange selon l'âme! Vous qui êtes homme d'après le corps, vous êtes apparu comme un ange. Pareille à celle d'un séraphin votre bouche glorifie Dieu en illuminant la terre par l'explication de la vrai foi. Recevez-moi donc, moi qui m'approche de vous avec amour et confiance, soyez mon Maître et celui qui doit m'éclairer. » Voilà ce qu'il promettait.
S'étant trop aventuré dans de nombreux sermons et dans une grande science, il n'en pouvait pas comprendre le sens profond. Et il tomba dans un grand chagrin. Il y avait alors un étranger, très versé dans la grammaire. Il vint donc le trouver et après s'être prosterné à ses pieds il le pria en se donnant à lui: « Vais une bonne œuvre et apprends-moi l'art grammatical. » Mais celui-là dissimulait son talent; il lui dit: « jeune homme, ne te fatigue pas; car je me suis juré de ne jamais de ma vie enseigner cela à personne. » L'enfant s'étant de nouveau prosterné devant lui, dit en pleurant: « Prends tout ce qui me revient de la maison de mon père, et instruis moi. » Mais comme l'autre ne voulait pas l'exaucer, il rentra chez lui et se mit en prières pour obtenir ce que son cœur désirait.
Or, Dieu a bientôt réalisé le désir de ceux qui le craignent. Ayant appris sa beauté, son intelligence et l'ardent désir d'étude qui était en lui, le ministre impérial appelé logothète l'envoya chercher pour qu'il fut élevé avec l'empereur. Le jeune garçon, à cette nouvelle, se mit joyeusement en route. Sur le chemin il récita cette prière après s'être prosterné: « Dieu de nos pères et Seigneur miséricordieux, vous qui avez tout créé par votre parole et votre sagesse, vous qui avez voulu que l'homme règne sur les créatures faites par vous, donnez-moi la Sagesse qui est au pied de vos trônes, pour que je connaisse ce qui vous est agréable et que je sois sauvé. Car je suis votre serviteur et le fils de votre servante. » Il récita encore le reste de la prière de Salomon et, s'étant levé, dit « Ainsi soit-il ».
CHAPITRE IV.
Quand il fut arrivé à Constantinople, on le confia aux instituteurs pour recevoir l'instruction. Et après y avoir appris la grammaire en trois mois, il s'attaqua aux autres sciences. Il étudia Homère et la géométrie ainsi que — auprès de Léon et de Photios — la dialectique et toutes les autres disciplines philosophiques. Il apprit même, outre cela, la rhétorique et l'arithmétique, l'astronomie, la musique et les autres arts helléniques. Il les apprit tous aussi bien que s'il n'en avait étudié qu'un seul. La vitesse s'ajoutait à l'assiduité, l'une concurrençant l'autre. C'est ainsi que la science et les arts se perfectionnent. Plutôt que sa science il montrait un doux visage, ne parlant qu'avec ceux dont il pouvait tirer quelque profit et évitant ceux qui dévient vers le mal. Il regardait et ne faisait que ce qui pouvait lui permettre d'atteindre les choses célestes au lieu des biens terrestres et de s'envoler de ce corps pour vivre avec Dieu.
Le logothète, voyant sa manière d'être, lui donna pouvoir sur sa maison et lui accorda libre accès au palais impérial. Un jour il lui posa la question suivante: « Je voudrais connaître, philosophe, ce qu'est la philosophie? » Mais lui répondit promptement: « C'est la connaissance des choses divines et humaines [qui nous enseigne] jusqu'à quel degré on peut s'approcher de Dieu et nous apprend que les choses sont créées à l'image et à la ressemblance de Dieu. » C'est pour cela qu'il l'aima encore davantage et l'interrogeait sur toutes choses, [lut], un tel homme, si grand et si vénérable. [Constantin] lui ouvrit toute la discipline philosophique, expliquant en quelques mots une grande doctrine.
Vivant dans la chasteté il devenait plus cher à tous qu'il devenait cher à Dieu. Le logothète, en lui accordant tous les honneurs et les marques de respect, lui offrit une masse d'or, mais lui ne voulut pas l'accepter. « Ta beauté et ta sagesse me forcent à t'aimer » lui dit-il une fois. « J'ai une fille spirituelle, que j'ai tenue au baptême, jolie et riche, noble et issue d'une grande famille. Si tu veux, je te la donnerai pour épouse. Tu recevras même maintenant de l'empereur une grande dignité et une haute charge mais tu peux attendre encore davantage car tu seras vite stratège. » Le Philosophe lui répondit: « C'est un grand cadeau pour ceux qui le désirent mais pour moi rien n'est meilleur que l'étude, grâce à laquelle Ramasserai la science et rechercherai l'honneur des ancêtres ainsi que la richesse. » Quand le logothète eut entendu ces mots, il alla trouver l'impératrice et lui dit: « Ce jeune philosophe n'aime pas cette vie. Ne nous séparons [pourtant] pas de lui, mais faisons lui tondre les cheveux pour qu'il entre dans les ordres et devienne bibliothécaire auprès du patriarche, à Sainte-Sophie. Gardons-le au moins ainsi. » Et c'est ce qu'Us firent.
Après être resté avec eux un court laps de temps, il s'en alla sur [les bords de] la Mer Étroite et s'y cacha dans un monastère. Ils le cherchèrent pendant six mois et ne le retrouvèrent qu'avec peine. Ne pouvant par lui imposer cet office, on le pria d'accepter une chaire de docteur et d'enseigner la philosophie aux indigènes et aux étrangers en toute autorité et avec l'appui [officiel]. Et il accepta.
CHAPITRE V.
Le patriarche Jannès suscita une hérésie en disant qu'aucun honneur ne devrait être rendu aux saintes images. On convoqua donc un synode, on le condamna comme ne disant pas la vérité et on le déclara déchu de son siège. Mais il dit: « Ils m'ont chassé de force, mais sans me vaincre, car personne ne peut résister à mes paroles. » L'empereur, ayant pris conseil de ses patrices,[1] envoya le philosophe contre lui en disant: «Si tu peux le vaincre, jeune homme, tu auras ta chaire. » Lui, voyant le philosophe physiquement jeune, et ignorant la maturité de son intelligence, voyant aussi ceux qui étaient envoyés avec lui, leur dit: « Vous êtes indignes de mon escabeau. Comment aurais-je donc à discuter avec vous? » Et le Philosophe de lui dire: « Ne suis pas l'habitude des hommes, mais considère les préceptes divins, tel tu es formé par Dieu de terre et d'esprit, tels nous sommes. Regarde donc la terre, ô homme, et ne t'enorgueillis pas. » De nouveau Jannès répondit: « Il ne convient pas de chercher des fleurs en automne ni de provoquer au combat un vieillard, un Nestor, comme [on ferait d'] un jeune homme. » Mais le Philosophe lui répartit: « Tu parles toi-même contre tes intérêts. Dis-nous à quel âge l'âme est plus forte que le corps? » Lui dit: « Dans la vieillesse. » Et le Philosophe: « A quel combat te provoquons-nous alors? A un combat physique ou spirituel? » Lui dit: « Spirituel. » Le Philosophe répondit alors: « C'est donc toi qui seras le plus fort. Ne nous raconte pas de telles histoires, car nous ne cherchons pas des fleurs et nous ne te provoquons pas au combat à une époque qui n'est pas convenable. » Le vieillard, couvert de honte, retourna le sujet de la conversation en disant: « Explique-moi, jeune homme, pourquoi on ne vénère et on ne baise pas une croix mutilée, alors que vous n'avez pas honte de vénérer une image [de Saint] peinte seulement jusqu'à la poitrine? » Mais le Philosophe de répliquer: « La croix se compose de quatre parties et s'il lui en indique une, elle n'a plus sa forme propre. L'image, elle, montre rien que par le visage la forme et la figure de celui qu'elle doit représenter. Celui qui la regarde ne voit pas la figure du lion ou de la panthère mais le prototype. » Le vieillard répliqua: « Pourquoi donc vénérez-vous la croix même sans inscription, alors qu'il existe plusieurs croix; si vous ne vénérez l'image que lorsqu'elle porte inscrit le nom de celui qu'elle représente? » A cela le Philosophe répondit: « Chaque croix a une forme pareille à celle de la croix du Christ, mais les images n'ont pas toutes la même forme. » Le vieillard dit alors: « Puisque Dieu a dit à Moïse: « Ne faites pas de représentations quelconques? », pourquoi en faites-vous pour les vénérer? » A quoi le Philosophe répliqua: « S'il avait dit: « Ne faites aucune (omnis) représentation », tu aurais raison; mais il a dit: « pas de représentations quelconques » (omnis generis), c'est-à-dire, indignes. » Ne pouvant rien opposer à cet argument, le vieillard se tut, rempli de honte.
CHAPITRE VI.
Par la suite, les Agarènes, qu'on appelle Sarrasins, blasphémèrent contre l'unité divine de la Sainte-Trinité, en disant: « Comment vous, chrétiens, qui croyez en un seul Dieu, le coupez-vous de nouveau en trois (parties), en disant qu'il est Père, Fils et Esprit? Si vous pouvez expliquer cela de façon claire, envoyez des hommes qui puissent discuter à ce sujet et nous convaincre. » Le Philosophe avait alors vingt-quatre ans. L'empereur convoqua le sénat et après l'avoir appelé il lui dit: « Entends-tu, mon Philosophe, ce que les Agarènes impies disent contre notre foi? Puisque tu es, pour ainsi dire, le serviteur et l'élève de la Sainte-Trinité, va là-bas, discute avec eux, et Dieu, qui peut tout faire et qui est loué dans la Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, te donnera la grâce et la force de la parole. Qu'il te fasse apparaître comme un nouveau David en face de Goliath, qu'il vainquit avec trois pierres, et qu'il te ramène chez nous, après ?avoir rendu digne de la gloire céleste. » Quand il eut entendu cela, Constantin dit: « Ce sera avec joie que je me mettrai en route pour la cause de la foi chrétienne. Car qu'est-ce qui m'est plus doux en ce monde que vivre et mourir pour la Sainte-Trinité? » Et, lui ayant adjoint l’asecrétos Georges, ils l'envoyèrent.
Arrivés là-bas, ils virent ce que ceux-là (les Agarènes) avaient fait d'étonnant et d'impur pour tourner en dérision et railler tous les chrétiens qui habitaient ces régions et qu'ils accablaient fort. Ils avaient peint à l'extérieur des portes de tous les chrétiens des figures de diables, et se moquaient d'eux par ces signes ignobles. Ils interrogèrent le Philosophe: « Peux-tu, Philosophe, expliquer ce que cela signifie? » Mais lui dit: « Je vois des images de diables; je suppose donc qu'il s'agit de maisons de chrétiens, car [les démons], ne pouvant pas habiter avec eux, s'enfuient hors de leur présence. Mais là où ce signe ne se trouve pas à l'extérieur [c'est que les démons] sont à l'intérieur avec les gens. »
Au cours du dîner, les Agarènes, gens sages et versés dans les lettres, connaissant la géométrie, l'astronomie et les autres disciplines, le questionnèrent pour le tenter, en disant: « Vois-tu, Philosophe, le miracle par lequel Mahomet le divin prophète, après nous avoir transmis le joyeux message de Dieu, a converti une multitude d'hommes? Nous observons tous sa loi sans la transgresser en quoi que ce soit. Mais vous, Chrétiens, en détenant la loi du Christ, votre prophète, vous l'observez et la suivez l'un d'une certaine façon, l'autre d'une façon différente, comme il plait à chacun de vous. » A cela le Philosophe répondit: « Notre Dieu est comme les profondeurs d'une mer; le prophète a même dit de lui: Qui pourra expliquer son origine? Sa vie est enlevée de la terre."
En le cherchant, beaucoup d'hommes entrent dans ces profondeurs et, comme ils sont fort intelligents, ils reçoivent, lui aidant, les richesses de la Sagesse et après avoir accompli cette traversée, ils reviennent; les faibles, de leur côté, essaient de traverser pour ainsi dire sur des navires pourris, les uns se noient, les autres respirent tout juste, fatigués, se balançant à peine à cause de leur extrême faiblesse. Votre [mer] est si étroite et si facile à atteindre que n'importe qui, grand ou petit, peut la traverser. Cela ne dépasse pas les moyens humains et n'importe qui peut le faire. Lui (Mahomet) ne vous a rien interdit. Puisqu'il n'a pas réfréné votre irascibilité et votre sensualité, mais au contraire les a relâchées, dans quel abîme vous a-t-il précipités! Celui qui est sage le comprendra. Le Christ n'a pas fait ainsi; il a soulevé ce qui est lourd des [régions] inférieures aux [régions] supérieures et, par la foi et la grâce divine, il instruit l'homme. Créateur de toutes choses, il a créé l'homme entre les anges et les bêtes, le distinguant de la bête par la parole et l'intelligence, des anges par l'irascibilité et la sensualité. Si quelqu'un approche donc d'une de ces limites, il participe aux choses supérieures ou aux choses inférieures. » Ils le questionnèrent alors de nouveau: « Comment louez-vous Dieu en trois [personnes] puisqu'il est unique? Dis-le nous si tu le sais. Car vous l'appelez Père, Fils et Esprit. Si vous parlez ainsi, adjoignez-lui aussi une épouse, pour qu'il puisse procréer des dieux nombreux.» Mais le Philosophe répliqua à cela: «Ne prononcez pas des blasphèmes impies. Car nous avons bien appris des prophètes, des pères et des maîtres à louer la Trinité, Père, Fils et Esprit, trois substances en une (seule) essence. En ce qui concerne le Verbe, il s'est incarné dans [le sein de] la Vierge et il est né pour notre salut, comme en témoigne même Mahomet, votre prophète, lorsqu'il écrit: « Nous avons envoyé notre esprit à la vierge en lui donnant la faculté d'enfanter." C'est de là que je vous apporte un argument sur la Trinité. » Vaincus par ces paroles, ils changèrent de sujet en disant: « C'est comme tu le dis, ô hôtel Mais puisque le Christ est votre Dieu, pourquoi ne faites-vous pas ce qu'il ordonne? Car il est écrit dans vos livres évangéliques: « Priez pour vos ennemis, faites le bien à ceux qui [vous] haïssent, et présentez votre joue à ceux qui frappent." Or vous, loin d'agir ainsi, vous aiguisez des armes hostiles contre ceux qui vous font de telles choses. » Le Philosophe opposa à cela: « Si une loi a deux préceptes, lequel s'y soumet entièrement, celui qui n'en observe qu'un ou (celui qui observe) les deux?»
Et ils répondirent: « Celui qui [observe] les deux. » Et le Philosophe [d'ajouter]: « Dieu a dit: « Priez pour ceux qui calomnient", puis il a dit:, Personne ne peut faire preuve d'un plus grand amour dans cette vie que celui qui donne son âme pour les autres. » Nous agissons donc ainsi à cause des autres pour que, leurs corps étant captifs, leur âme ne le devienne pas également. » Ils dirent encore: « Le Christ a payé tribut pour lui et les autres. Pourquoi ne voulez-vous pas faire ce qu'il a fait? Et même si vous vous défendez de le faire, pourquoi ne pas payer le tribut au moins pour vos frères et vos alliés, au peuple ismaélite, si grand et si puissant? Nous demandons peu de choses, une seule pièce d'or, et, tant que la terre subsistera, nous serons en paix avec vous comme personne autre. » Le Philosophe répondit: « Si quelqu'un, marchant sur les traces de son maître, veut suivre exactement les mêmes traces que lui, et si quelqu'un d'autre, allant à sa rencontre, s'efforce de l'en empêcher, est-ce que celui-là est son ami ou (son) ennemi? » Ils répondirent: « (Son) ennemi. » Et le Philosophe dit: « Quand le Christ payait le tribut, quel est l'Empire qui existait, celui des Ismaélites ou celui des Romains? » Et ils répondirent: « Celui des Romains. » Lui dit alors: « Il ne faut donc pas nous en vouloir si nous payons tous le tribut aux Romains. » Ils lui posèrent par la suite, pour [le] tenter, encore beaucoup d'autres questions sur tous les arts qu'eux-mêmes connaissaient. Mais il répondit à toutes et les vainquit même sur ces points. Ils lui dirent: « Comment sais-tu tout cela? » Mais le Philosophe leur dit: « Un homme, ayant puisé de l'eau dans la mer, la portait dans une outre et se vantait, disant aux étrangers: Voyez vous cette eau que personne d'autre que moi ne possède?" Mais un homme [qui habitait le bord] de la mer arriva et lui dit: « Es-tu fou de te vanter ainsi d'une outre fétide? Nous en avons (toute) une mer." C'est ainsi que vous agissez, car c'est de nous que tous les arts sont sortis. »
Après cela, faisant des miracles, ils lui montrèrent un jardin planté autrefois et sortant de terre. Et quand il leur eût expliqué comment cela se faisait, ils lui montrèrent de nouveau toutes sortes de richesses, des maisons faites d'or, d'argent, de pierres précieuses et de perles, en disant: « Vois-tu, Philosophe, ce miracle! Le pouvoir et la richesse de l'Ameroumnès, seigneur des Sarrasins, sont grands et nombreux. » Mais il leur dit: « Il n'y a rien là d'extraordinaire. Gloire et louanges à Dieu qui a créé toutes ces choses et les a données aux hommes comme consolation. Elles sont à Lui et à personne d'autre. »
A la fin, revenant à leur malice, ils lui donnèrent du poison à boire. Mais Dieu le miséricordieux qui a dit: « Même s'ils boivent quelque breuvage mortel, il ne leur fera point de mal, » le libéra et le reconduisit sain et sauf dans son pays.
CHAPITRE VII.
Peu de temps après il renonça à toute cette vie et se fixa en un lieu tranquille. Il se concentra sur lui-même; il ne garda rien pour le lendemain mais distribua tout aux pauvres et s'en remit à Dieu qui s'occupe chaque jour de tous. Un jour de fête, son serviteur lui ayant déclaré: « Nous n'avons rien, ce saint jour » il lui dit: « Celui qui nourrissait les Israélites dans le désert nous donnera à manger ici. Va donc, invite au moins cinq pauvres et espère en l'aide de Dieu. » Et quand vint l'heure du repas, un homme apporta une quantité de comestibles de tous genres et dix pièces d'or. Et il rendit grâces à Dieu pour tout cela.
Et après s'être rendu au (Mont) Olympe auprès de son frère Méthode, il se mit à vivre et à prier Dieu sans cesse, n'entrant en conversation qu'avec les livres.
CHAPITRE VIII.
Des émissaires [envoyés par] les Khazars arrivèrent alors auprès de l'empereur, en disant: « Nous reconnaissons dès l'origine un Dieu, supérieur à toutes choses, nous l'adorons [en nous tournant] vers l'est et nous observons [en plus] d'autres habitudes honteuses. Les Hébreux nous conseillent d'adhérer à leur foi et à leurs traditions, mais d'un autre côté les Sarrasins nous entraînent à leur croyance en nous offrant la paix[2] et de nombreux cadeaux et en disant: « Notre croyance est meilleure que celle de tous les peuples. » C'est pourquoi nous nous adressons à vous, en vertu de notre vieille amitié et de notre amour. Puisque vous êtes une grande nation et que vous tenez votre Empire de Dieu, nous vous prions, en demandant votre conseil, de nous envoyer un homme versé dans les lettres, pour que, s'il réfute les [arguments des] Hébreux et [des] Sarrasins, nous adhérions à votre foi. »
Alors l'empereur chercha le Philosophe et l'ayant trouvé, il lui communiqua le message des Khazars, en disant: « Philosophe, va chez ces gens, fais leur un discours, réponds-leur sur la Sainte-Trinité avec l'aide de celle-ci; aucun autre [que toi] n'est capable de le faire d'une façon digne. » Mais lui répondit: «Si vous me l'ordonnez, Seigneur, j'irai à pieds sans chaussures et sans rien porter de ce que le Seigneur défendait à ses disciples. » A quoi l'empereur répliqua: «Si tu devais agir de ta propre initiative, tes paroles conviendraient parfaitement. Mais puisque tu connais la majesté et la puissance impériales, tu iras avec honneur et avec l'appui de l'Empereur. »
Constantin se mit aussitôt en route et il arriva à Cherson. Là il apprit la langue et les lettres hébraïques et ayant traduit huit parties de la grammaire, il en acquit une science encore plus grande. Là vivait un certain Samaritain qui venait le voir, discutait avec lui et [une fois] lui montra des livres samaritains qu'il avait apportés. Les ayant obtenus par ses prières, le philosophe s'enferma chez lui, se mit à prier et ayant reçu de Dieu l'intelligence, il commença à lire les livres sans faire de faute. Voyant cela, le Samaritain poussa de grandes exclamations et dit: « En effet, ceux qui croient au Christ reçoivent vite le Saint-Esprit et la grâce. » Et ayant immédiatement fait baptiser son fils, il reçut lui-même, ensuite, le baptême.
Il (Constantin) trouva là également l'évangile et le psautier écrits en lettres russes et un homme parlant cette langue. Après avoir parlé avec lui il s'appropria le génie de la langue et la comparant avec la sienne, il discerna les lettres, voyelles et consonnes. Ayant adressé à Dieu une prière, il commença à lire et à parler de telle sorte que de nombreuses personnes l'admiraient en louant Dieu.
Entendant dire alors que Saint Clément reposait toujours dans la mer, il se mit à prier et dit: « Je crois en Dieu et j'ai confiance en Saint Clément; je réussirai à le trouver et à l'enlever de la mer. » Ayant obligé l'archevêque on prit un bateau et en compagnie de tout le clergé et d'hommes pieux, on alla vers le lieu [ou devait être le Saint]. Et, la mer redevenant très calme, à leur arrivée, ils se mirent à sonder en chantant. Immédiatement on sentit une forte odeur d'huile et d'encens, puis apparurent les saintes reliques. Ils les relevèrent avec beaucoup de respect et, comme il l'écrit dans son Invention, les portèrent dans la ville au milieu des louanges de tous les citoyens.
Un seigneur khazar, venant avec une armée, entoura une ville chrétienne et y mit le siège. Ayant appris la chose, le Philosophe se transporta sans retard auprès de lui, lui parla et le calma par ses exhortations. Ayant promis de se faire baptiser, [le Khazar'] parti sans avoir causé le moindre tort à ces gens.
Le Philosophe reprit sa route. Alors qu'il faisait sa prière de la première heure, des Hongrois l'entourèrent, hurlant comme des loups et voulant le tuer. Mais lui ne se laissa.pas intimider; il n'interrompit pas sa prière, et prononça seulement le « Kyrie eleison », car il avait déjà terminé l'office. Eux, l'ayant considéré, se calmèrent, sur un ordre divin, et commencèrent à s'incliner devant lui. Après avoir entendu de sa bouche des paroles d'exhortation, ils le relâchèrent avec toute sa suite.
CHAPITRE IX.
Ayant pris un bateau il se mit en route pour [le pays des] Khazars, près du marais Méotide et vers les portes Caspiennes des montagnes du Caucase. Les Khazars envoyèrent alors à sa rencontre un homme astucieux et malin qui engagea avec lut une joute oratoire et lui dit: « Pourquoi persistez-vous dans une mauvaise habitude en prenant toujours comme empereurs des personnages différents provenant de familles différentes? Nous le faisons, nous, d'après la famille. » Mais le Philosophe lui répondit: « Dieu, à la place de Saül qui ne faisait rien d'agréable pour lui, a bien choisi David qui lui plaisait ainsi que la famille de David. » Alors il reprit: « Pourquoi donc, les livres en mains, récitez-vous d'après eux toutes les paraboles? Nous ne faisons pas ainsi, nous récitons toute la sagesse par cœur, comme si nous l'avions engloutie, et nous ne nous enorgueillissons pas comme vous de l'Ecriture. » Mais le Philosophe lui dit: « Voici ce que je te réponds sur ce point. Si tu rencontres un homme nu qui te dit: « J'ai de nombreux vêtements et beaucoup d'or, » le croiras-tu, en le voyant nu? » Et il dit: « Non. » Il dit alors: « Je te dis la même chose: puisque tu as englouti toute la sagesse, dis-nous combien il y a de générations jusqu'à Moïse et combien d'années ont duré les générations une par une? » Ne pouvant pas répondre à cela, il se tut.
Une fois arrivé, on voulut se mettre à table chez le khagan; on l'interrogea donc: « Quelle est ta dignité pour que nous puissions te placer d'après ton rang?» Lui dit: « J'ai eu un ancêtre très grand et très célèbre, qui était placé près de l'empereur, mais ayant lui-même refusé la place d'honneur qu'on lui avait donnée, il fut chassé. Ayant émigré à l'étranger, il devint pauvre et c'est là qu'il m'engendra. Et moi, j'ai cherché [à atteindre] la dignité qu'avait autrefois mon ancêtre, mais je n'ai pas réussi à la réoccuper, car je suis le neveu d'Adam. » Eux répondirent alors: « C'est bien dit et c'est vrai, notre hôte. » Depuis ce temps ils commencèrent à l'honorer davantage.
Le khagan, ayant pris la coupe, dit: « Buvons au nom du Dieu unique, créateur de toutes choses. » Le Philosophe, ayant alors saisi la coupe, dit: « Je bois au nom du Dieu unique et de son Verbe, de Dieu qui, par son verbe, a créé toutes choses, par lequel les deux ont été consolidés, et de l'Esprit vivifiant qui leur donne toute leur force. » Alors le khagan lui répondit: « Nous sommes absolument du même avis et nous ne différons que sur ce point: Vous vénérez la Sainte-Trinité, et nous un seul Dieu, [d'après] les livres que nous avons reçus. » Le Philosophe dit alors: « Les livres prêchent le Verbe et l'Esprit. Si quelqu'un t'honore, sans honorer ta parole et ton esprit, et si un autre honore les trois, lequel est le plus respectueux? » Lui dit alors: « Celui qui honore les trois. » Le Philosophe répondit: « Nous faisons donc ce qu'il y a de mieux, en procédant à une démonstration par les faits et en obéissant aux prophètes. Car Isaïe a dit: Ecoute-moi, Jacob et Israël, que j'appelle; je suis le premier et je suis pour l'éternité. Maintenant le Seigneur et son Esprit m'ont envoyé. »
Et les Juifs, debout autour de lui, dirent: « Dis-nous donc, comment une femme peut renfermer Dieu dans ses entrailles, Dieu qu'elle ne peut voir et encore moins enfanter? » Mais le Philosophe montrant du doigt le khagan et son premier conseiller dit: « Si quelqu'un disait que le premier conseiller ne peut pas recevoir le khagan et s'il ajoutait que le dernier des serviteurs peut le recevoir et lui rendre honneur, comment appellerions-nous [cet homme], dites-le moi, un fou ou un homme raisonnable?'» Et ils dirent: «Un grand fou, certes. » Alors le Philosophe leur dit: « Laquelle des créatures visibles est supérieure à toutes les autres? » Ils lui répondirent: « L'homme, car il a été créé à l'image de Dieu. » Alors le Philosophe reprit: « Comment donc pourrions-nous ne pas qualifier de stupides les gens qui disent que Dieu ne pourrait pas être contenu par l'homme? Il l'a bien été par la mer, les nuages, l'orage et la fumée lorsqu'il est apparu à Moïse et à Job. Comment en effet pourrait-on donner des remèdes à un autre que celui qui est malade? Le genre humain, étant tombé dans le vice, par qui pouvait-il être rénové sinon par le Créateur lui-même? Répondez-moi! Si un médecin veut appliquer aux malades un emplâtre, l’appliquer a-t-il à un arbre ou à une pierre? Et guérira-t-il un homme de cette façon? Et comme l'a dit Moïse [sous l'impulsion de l'Esprit-Saint, lorsqu'il priait les mains étendues: « Au milieu du tonnerre des pierres et des appels des trompettes n'apparaissez plus, Seigneur miséricordieux, mais habitez [plutôt] en nous et faites disparaître nos péchés. » Car c'est Aquila qui parle ainsi. » Là-dessus ils sortirent de table après avoir fixé le jour ou ils discuteraient de toutes ces choses.
CHAPITRE X.
Quand ils furent de nouveau assis en présence du khagan, le Philosophe dit: « Je suis seul parmi vous, sans parents et sans amis, et nous discutons de Dieu qui a tout en ses mains, même nos cœurs. Que ceux d'entre vous qui sont éloquents nous parlent donc et nous expliquent ce qu'ils ont compris; qu'ils posent des questions sur ce qu'ils n'ont pas compris et nous le leur expliquerons. » Alors les Juifs firent cette réponse: « Nous aussi nous observons dans l'Ecriture la lettre et l'esprit. Dis-nous quelle loi Dieu a d'abord donnée aux hommes, celle de Moïse ou celle que vous observez? » Et le Philosophe de répliquer: « Si vous posez cette question, est-ce pour [dire] que vous observez la première loi? » Ils répondirent: « Parfaitement, car il convient [d'observer] la première loi. » Mais le Philosophe dit: « Si vous voulez observer la première loi, abandonnez donc complètement la circoncision. » Et ils lui dirent: « Pourquoi tiens-tu un tel langage? » Mais le Philosophe dit: « Dites-moi sans ambages si la première loi a été donnée dans la circoncision ou non? » Ils lui répondirent: « Nous pensons que ce fut dans la circoncision. » Mais le Philosophe dit: « Dieu, immédiatement après le précepte [donné à] Adam et la chute [de ce dernier], n'a-t-il pas donné à Noé une loi en appelant de ce nom le pacte? Car il lui a dit: « Voici, je conclus mon pacte avec toi et avec ta postérité et avec toute la terre, »un pacte contenant trois commandements, à savoir: « Mangez, comme l'herbe verte, tout ce qui est sous le ciel, tout ce qui est sur la terre et tout ce qui est dans l'eau; il n'y a que la viande, dont l'âme est dans le sang, que vous ne mangerez pas » ; et, « Que quiconque répandra le sang d'un homme voie répandre le sien en compensation »? Comment donc, en opposition à ces préceptes, dites-vous observer la première loi? » Mais les Juifs lui répondirent: « C'est la première loi de Moïse que nous observons; Dieu ne l'a pas appelée loi mais pacte, de même qu'il a appelé défense [et non pas loi le précepte] antérieur [donné] à l'homme dans le paradis et d'une autre façon à Abraham sous le nom de circoncision et non de loi. La loi est une chose, le pacte en est une autre, car le créateur les a désignées toutes deux de façon différente. » Mais le Philosophe leur répliqua: « Même à ce sujet je vous dirai que la loi est appelée pacte. Car Dieu a dit à Abraham: Je donnerai ma loi dans votre chair — il appela aussi cela un signe d'alliance — pour qu'elle existe entre moi et vous. De même il s'adresse de nouveau à Jérémie en ces termes: Ecoute donc ce pacte, car tu parleras, dit-il, aux hommes de Juda et aux habitants de Jérusalem et tu leur diras: Voici ce que dit le Seigneur Dieu d'Israël: Maudit soit l'homme qui n'écoute pas les paroles de ce pacte, que j'ai imposé à vos pères le jour où je les ai fait sortir de la terre d'Egypte. » Les Juifs répondirent à cela: « C'est aussi notre opinion que la loi est également appelée pacte, et ceux qui ont observé la loi de Moïse ont tous plu à Dieu. Nous aussi, en l'observant, nous pensons qu'il n'en est pas autrement, mais vous, qui avez établi une autre loi, vous foulez aux pieds la loi divine. » Le Philosophe leur dit alors: « Nous agissons bien. Si Abraham, en effet, n'avait pas suivi la circoncision, mais observé le pacte de Noé, on ne l'appellerait pas ami de Dieu; et Moïse, lorsqu'il a plus tard écrit de nouveau la loi, n'a pas observé la première. Ainsi nous suivons leur modèle et nous observons la loi donnée par Dieu, pour que le commandement divin demeure bien établi. Lorsqu'en effet il a eu donné la loi à Noé, il ne lui a pas dit qu'il en donnerait encore une autre, mais [qu'] elle durerait éternellement dans l'âme vivante. De même quand il a eu donné sa promesse à Abraham, il ne lui a pas annoncé: J'en donnerai encore une autre à Moïse. Comment observez-vous donc la loi? Car Dieu s'écrie par la bouche d'Ezéchiel: Je la changerai et je vous donnerai une autre loi. Et Jérémie a dit ouvertement: Voici, des jours viendront, dit le Seigneur, et je conclurai avec la maison d'Israël et la maison de Juda une nouvelle alliance, qui ne sera pas établie d'après l'alliance que j'ai conclue avec vos pères dans les jours que je les ai pris par la main pour les conduire hors de la terre d'Egypte, parce que même eux ne sont pas restés dans mon alliance et je les hais parce que ceci est mon pacte que je conclus avec la maison d'Israël après ces jours-là, dit le Seigneur. Je mettrai mes lois dans leurs pensées et les inscrirai dans leurs cœurs et je serai leur Dieu et ils seront mon peuple. Et le même Jérémie a dit encore: Ainsi parle le Seigneur: Placez-vous sur les routes, regardez et demandez quels sont les sentiers du Seigneur éternel, voyez quelle est la voie de l'éternité et suivez-la; et vous obtiendrez ainsi la purification de vos âmes. Et ils dirent: Nous ne la suivons pas. J'ai placé parmi vous des sentinelles, écoutez la voix de la trompette. Et ils dirent: Nous ne l'écoutons pas. Que les nations et les pasteurs des troupeaux écoutent donc. Et aussitôt: Ecoute, terre: Voilà, je jais venir sur ce peuple le malheur, fruit de son apostasie, car ils n'ont pas écouté mes paroles et ils ont méprisé ma loi que les prophètes avaient prêchée. Je ne démontrerai d'ailleurs pas seulement par cet argument que la loi a cessé [d'être valable] mais aussi, et très clairement, par beaucoup d'autres raisons [tirées] des prophètes. »
Les Juifs lui répondirent: « Tout Juif sait que cela arrivera certainement, mais l'heure de l'Oint n'a pas encore sonné. » Mais le Philosophe leur dit: « Comment avancez-vous cela, alors que vous voyez que Jérusalem a été détruite, que les sacrifices ont cessé et que tout ce que les prophètes avaient prédit à votre sujet s'est accompli? Car Malachie s'écrie clairement à votre sujet: Ma volonté n'est pas avec vous, dit le Seigneur tout-puissant ; je n'accepterai plus de sacrifices de vos mains, parce que de l'Orient à l'Occident mon nom est glorifié parmi les nations, et partout l'encens est offert à mon nom ainsi que des offrandes convenables car mon nom est grand parmi les nations, dit le Seigneur tout-puissant. » Mais eux répondirent: « Cela c'est toi qui le dis; tous les peuples ne seront-ils pas bénis en nous et circoncis dans la ville de Jérusalem. » Le Philosophe dit: « Que dit donc Moïse: Si, dociles, vous obéissez pour observer la loi en tous points, vos frontières iront de la mer Rouge à la mer des Philistins et du désert au fleuve d'Euphrate. Nous, peuples, nous sommes bénis dans celui qui est sorti d'Abraham et qui tire son origine du rameau de Jessé qu'on considère comme l'espoir des peuples comme la lumière de toute la terre et de toutes les iles, nous qu'illustre la gloire divine mais, [comme] le proclament hautement les prophètes, conformément à une loi autre que celle [dont vous parlez] et en des lieux différents. Car Zacharie a dit: Réjouis-toi, fille de S ion, voici ton roi viendra à toi, doux, monté sur un ânon, sur le petit d'une ânesse qui a connu le joug. Et encore: Il dispersera les chars d'Ephraïm et les chevaux de Jérusalem, il annoncera la paix aux nations et sa puissance ira des limites de la terre aux extrémités de l'univers. Et Jacob a dit: y aura toujours un prince de la lignée de Juda, un chef sortant de son sein, jusqu'à ce que vienne celui qu'il doit servir et qui sera l'espoir des peuples. Puisque vous voyez toutes ces choses conduites à leur terme et achevées, qui d'autre attendez-vous? Daniel, instruit par un ange, a dit en effet: Soixante-dix semaines jusqu'à ce que le Christ soit le chef, cela signifie quatre cent quatre-vingt-dix ans pour que s'accomplissent la vision et la prophétie. Qu'est-ce donc, d'après vous, que le royaume de fer mentionné symboliquement par David?» Ils répondirent: « Celui de Rome. » Et le Philosophe leur demanda: « Quelle est cette pierre qui s'est séparée de la montagne sans [l'intervention d'une] main humaine? » Et ils répondirent: « L'Oint [du Seigneur].» Et ils ajoutèrent: «Si nous admettons, d'après les prophètes et d'autres arguments, qu'il soit, comme tu le dis, déjà venu, comment donc l'Empire romain subsiste-t-il aujourd'hui? » Le Philosophe répliqua: «Il ne subsiste plus, il a passé comme tout le reste, selon l'image; notre Empire n'est pas celui de Rome, mais celui du Christ, comme l'a dit le prophète: Dieu suscitera un royaume céleste qui ne sera jamais détruit et qui ne passera pas à un autre peuple. Il brisera et anéantira tous les royaumes, mais lui-même durera éternellement. N'est-ce pas le royaume chrétien [qui existe] maintenant, ainsi appelé du nom du Christ? Les Romains eux vénéraient les idoles. Mais ceux-là [les Chrétiens] qu'ils soient d'une nation ou d'une autre, d'une race ou d'une autre, gouvernent au nom du Christ, comme le démontre aussi le prophète Isaïe, lorsqu'il vous dit: Vous avez fait de votre nom un objet de dégoût pour mes élus, mais le Seigneur vous fera mourir, et à ceux qui le servent il donnera un nom nouveau qui sera béni dans le monde entier. Ils béniront le vrai Dieu et ceux qui jurent sur la terre, jurent par le Dieu qui est au ciel. Les prédictions de tous les prophètes, faites clairement à propos du Christ, ne sont-elles pas accomplies? Isaïe indique en effet sa naissance d'une vierge lorsqu'il dit: Voilà qu'une vierge va concevoir dans son sein et donner naissance à un fils dont le nom sera Emmanuel, c'est-à-dire : Dieu est avec nous. Et Michée a dit: Et toi Bethléem, terre de Juda, tu n'es nullement la plus petite des principautés de Juda, car de toi sortira un chef qui paîtra Israël, mon peuple. Son origine remonte aux temps anciens, aux jours de l'éternité. C'est pourquoi il les donnera jusqu'au temps de celle qui s'apprête à enfanter, et elle enfantera. Et Jérémie: Informez-vous et voyez si un mole enfante, parce que ce jour est grand, tel qu'il n'y en a pas eu de semblable, et Jacob aura des jours difficiles, mais par là il sera sauvé. Et Isaïe a dit: Avant que celle qui devait enfanter eût enfanté, avant que l’enfantement fût venu, elle évita les douleurs et donna le jour à un mâle. »
Mais les Juifs de répliquer: « Nous sommes, nous, les descendants bénis de Sem, bénis par le père Noé; et vous, vous n'êtes pas [ses descendants]. » Mais il donna les explications suivantes: « La bénédiction de votre père n'est autre chose que la louange de Dieu, mais elle ne l'atteint nullement. C'est en effet ainsi: Béni soit le Seigneur Dieu de Sem; mais à Japhet de qui nous sommes, il a dit: Que le Seigneur étende Japhet et qu'il habite dans les tentes de Sem. » Et donnant des explications d'après les prophètes et les autres livres il ne les abandonna pas avant qu'ils eussent eux-mêmes déclaré: « C'est bien comme tu le dis. »
Mais ils reprirent: « Comment vous, qui placez votre espoir en un homme, vous imaginez-vous que vous êtes bénis alors que les Livres maudissent un tel [homme?]. » Le Philosophe répondit: «David est-il donc maudit ou béni?'» Et ils dirent: « Tout à fait béni bien entendu. » Le Philosophe dit donc: « Nous aussi nous espérons dans le même que lui. Car il dit dans les psaumes; L'homme de ma paix en qui j'ai espéré. Cet homme est le Christ Dieu. Celui qui espère en un homme ordinaire, nous aussi nous le considérons comme maudit. »
Ils abordèrent alors un nouveau sujet en disant: « Comment vous, chrétiens, rejetez-vous la circoncision, alors que le Christ ne l'a pas refusée mais l'a observée suivant la loi? » Le Philosophe répondit: Celui qui a dit autrefois à Abraham: « Que ce soit un signe [d'alliance] entre moi et vous" celui-là, lorsqu'il est arrivé, a fait cesser ce signe qui avait été observé depuis cette [époque] jusqu'à lui. Il n'a pas permis que cela se prolonge et il nous a donné le baptême.» Et ils dirent: «Pourquoi donc, dans la période antérieure, d'autres qui n'ont pas reçu ce signe, mais celui d'Abraham, ont-ils plu à Dieu?» Le Philosophe répondit: « Personne parmi eux, Abraham mis à part, n'apparaît comme ayant eu deux femmes et c'est pour cela qu'il (Dieu) coupe son membre, assignant [ainsi] des limites à ne plus dépasser, mais donnant, au moyen du premier mariage d'Adam, un exemple à tous les autres pour qu'ils aillent vers ce but. Il fit encore de même avec Jacob des cuisses duquel il tarit la veine parce qu'il avait quatre femmes. Comprenant la raison de cet acte il lui imposa le nom d'Israël, c'est-à-dire l'esprit qui regarde Dieu, et il ne parait plus en effet avoir eu de relations avec sa femme. Abraham lui, ne l'a pas compris. »
Mais les Juifs lui demandèrent encore: « Comment pouvez-vous vous imaginer plaire à Dieu alors que vous adorez des idoles? » Le Philosophe répondit: « Apprenez d'abord à distinguer les noms, ce qu'est une image et ce qu'est une idole; et, le sachant, n'attaquez pas les Chrétiens. Car vous avez dans votre langue dix expressions pour l'image. Mais je vais vous interroger à mon tour: N'[était-ce] pas une image que le tabernacle vu et emporté par Moïse sur la montagne, et n'a-t-il pas fait par son art l'image de l'image ? une image ressemblante, remarquable par ses agrafes, ses peaux, ses tapis de poils et ses Chérubins? Et parce qu'il a ainsi agi, dirons-nous que vous honorez un arbre, des peaux, des tapis de poils et que vous vénérez ces choses-là et non pas Dieu, qui a donné alors une telle image? [Et dirons-nous] la même chose du temple de Salomon, parce qu'il contenait des images des chérubins et des anges et des représentations de beaucoup d'autres [choses ou personnages] ? Ainsi nous, Chrétiens, nous rendons des honneurs, en faisant les images de ceux qui ont plu à Dieu, et en distinguant ce qui est bon des figures diaboliques ; les livres blâment en effet ceux qui sacrifient leurs fils et leurs filles et ils [leur] annoncent la colère de Dieu, mais ils adressent des louanges à d'autres qui sacrifient leurs fils et leurs filles. »
Mais les Juifs reprirent: « Comment n'agissez-vous pas contre Dieu, vous qui mangez la viande des porcs et des lièvres? » Il leur répondit: « Le premier pacte prescrivait: Vous mangerez tout comme l'herbe verte, car tout est pur pour les purs, mais de ceux qui sont souillés la conscience est également souillée. Et Dieu dit dans la Genèse: Voici, tout est très bon. Mais à cause de votre voracité, il a fait exception pour certaines choses. Car, a-t-il dit, Jacob a mangé, et il s'est rassasié et il a failli, le bien aimé. Puis: Les hommes s'assirent pour manger et pour boire et ils levèrent pour jouer. »
Entre beaucoup [de choses] nous avons exposé celles-ci en résumé et de mémoire. Celui qui voudra rechercher ces discours en entier et dans leur texte authentique, les trouvera dans les livres de Constantin dans la mesure où les a traduits l'archevêque Méthode, notre Maître, en les divisant en huit homélies. Il y découvrira la force de la parole [inspirée] par la grâce divine, pareille à une flamme dévorante en face des adversaires.
Le khagan des Khazars et les nobles ayant entendu ces paroles douces et saintes, lui dirent: « C est Dieu qui t'a envoyé ici pour notre édification; ayant appris par lui tous les livres, tu as expliqué toutes choses, les unes après les autres, nous rassasiant tous des paroles de miel de l'Ecriture Sainte. Nous sommes des illettrés, mais nous croyons que tu es de Dieu. Et si tu veux tranquilliser nos âmes, donne-nous en paraboles toutes les explications d'après les questions que nous te poserons. » Et ils se séparèrent pour se reposer.
CHAPITRE XI.
S'étant réunis le lendemain, ils lui dirent: « Homme vénérable, montre nous donc par des paraboles et des arguments quelle est la meilleure foi de toutes. » Le Philosophe leur répondit: « Deux époux étaient en grand honneur auprès d'un certain empereur et très aimés [par ce dernier]. Mais ayant commis des fautes, ils furent expulsés du pays et exilés. Après avoir ainsi vécu de nombreuses années, ils engendrèrent des enfants dans la pauvreté. Ces enfants s'étant réunis discutaient du chemin à suivre pour retrouver les honneurs passés. Mais l'un parlait d'une certaine façon, le second d'une autre et le troisième émettait encore un avis différent. Quel avis adopter? Le meilleur, n'est-il pas vrai? » Mais ils dirent: « Pourquoi dis-tu cela? Chacun pense que son avis est meilleur que les autres. Les Juifs croient que le leur est meilleur, les Sarrasins de même, d'autres également. Dis [-nous] donc lequel nous jugerons le meilleur? » Le Philosophe dit: « Le feu éprouve l'or et l'argent, mais l'homme par sa raison distingue le mensonge de la vérité. Dites-moi quelle fut la cause de la première chute. N'est-ce pas le regard, un fruit doux et le désir de la divinité? » Et ils dirent: « C'est vrai. » Mais le Philosophe dit: « Si donc quelqu'un tombe malade pour avoir mangé du miel ou bu de l'eau froide, et si un médecin vient et lui dit: « Mange encore beaucoup de miel et tu seras guéri » ou s'il dit à celui qui a bu de l'eau: Bois de l'eau froide, plonge toi nu dans le froid et tu seras guéri, » et si un autre médecin ne tenant pas le même langage recommande un médicament contraire — au lieu du miel une chose amère et la diète, au lieu de quelque chose de froid quelque chose de tiède et de chaud — lequel est le meilleur médecin? » Tous répondirent: « Celui qui prescrit des médicaments contraires. La douceur lascive de cette vie doit être en effet mortifiée par l'amertume, et l'orgueil par l'humilité, car on doit guérir par [l'opposition] des contraires. Nous disons que l'arbre qui a produit d'abord une épine produira par la suite un doux fruit. » Mais de nouveau le Philosophe répondit: « C'est bien dit. Car la loi du Christ montre l'âpreté de la vie divine, mais ensuite, dans les demeures éternelles, elle porte des fruits au centuple. »
L'un d'eux, un conseiller, connaissant bien la malice des Sarrasins, demanda au Philosophe: « Dis-moi, [notre] hôte, pourquoi vous ne vénérez pas Mahomet? Car il a beaucoup loué le Christ dans ses livres, le Christ dont il a dit qu'il est né d'une vierge, sœur de Moïse, [qu'il était] un grand prophète, qu'il a ressuscité des morts et qu'il guérissait toutes les maladies avec une grande puissance. » Mais le Philosophe répliqua: « Que le khagan soit notre juge! Dis-nous donc, si Mahomet est prophète, comment nous pouvons croire Daniel. Car ce dernier a dit: « Jusqu'au Christ toute vision et toute prophétie cesseront. Lui donc [Mahomet], qui est apparu après le Christ, comment peut-il être prophète? Si nous l'appelons prophète, nous devons rejeter Daniel. » Beaucoup d'entre eux dirent alors: « Ce que Daniel a dit, il l'a dit dans l'esprit de Dieu. Quant à Mahomet, nous savons tous que c'est un menteur et un fléau pour le salut des hommes, lui qui a proféré ses pires erreurs dans la malice et l'impudence. »
Et le premier conseiller figurant parmi eux dit à ses amis Sarrasins: « Avec l'aide de Dieu notre hôte a abattu tout l'orgueil des Juifs et a jeté le vôtre comme une chose sordide de l'autre côté du fleuve.[3] » Et il ajouta pour tout le peuple: « De même que Dieu a donné à l’empereur chrétien le pouvoir sur tous les peuples et la sagesse la plus grande, de même il leur a donné la foi, et sans elle personne ne peut vivre la vie éternelle. Gloire à Dieu dans les siècles des siècles! » Et tous dirent: « Ainsi soit-il! » Le Philosophe, tout en larmes, leur dit alors à tous: « Frères, pères, amis et enfants! Dieu vous a donné la faculté de comprendre et la réponse qui convient. S'il reste un contradicteur, qu'il vienne et qu'il nous convainque ou qu'il se laisse convaincre. Que celui qui se conforme à ces préceptes soit baptisé au nom de la Sainte-Trinité. Celui qui ne veut pas, loin de moi ce pêche, celui-là verra le jour du jugement, quand l'Ancien des jours sera assis pour juger toutes les nations en tant que Dieu. » Ils lui répondirent: « Nous ne sommes pas nos propres ennemis. Mais bientôt nous ordonnerons que dorénavant celui qui le peut, soit baptisé à son gré. Mais celui d'entre vous qui s'incline vers l'occident, ou qui prie suivant l'usage des Juifs, ou qui garde la foi sarrasine, celui-là sera bientôt mis à mort par nous. » Et ils se séparèrent avec joie.
Environ deux cents de ces hommes furent baptisés et rejetèrent les abominations des païens ainsi que les liaisons illégitimes. Et le khagan écrivit à l'empereur une lettre dont voici la teneur: « Seigneur, tu nous as envoyé un homme qui nous a enseigné la foi chrétienne par la parole et par l'exemple. Convaincus qu'elle est la vraie foi, nous avons ordonné que ceux qui le veulent soient baptisés et nous espérons nous-même arriver à ce résultat. Nous sommes tous alliés et amis de ton Empire et prêts à te servir là ou tu auras besoin de nous. »
Et, prenant congé du Philosophe, le khagan lui offrit de nombreux cadeaux mais lui ne les accepta pas et dit: « Donne-moi tous les prisonniers grecs que tu as ici. Ceci m'est plus précieux que tous les dons. » En ayant rassemblé près de deux cents, ils les lui donnèrent et il se mit en route avec joie.
CHAPITRE XII.
Etant arrivés dans le désert,[4] ils ne pouvaient pas supporter la soif. Ils trouvèrent de l'eau dans une lagune mais ne purent la boire car elle était semblable au fiel. Quand tous se furent séparés pour chercher de l'eau, il dit à son frère Méthode: « Je ne peux plus supporter la soif, puise de cette eau. Car celui qui autrefois pour les Israélites changea l'eau saumâtre en eau douce, nous réservera aussi une consolation. » En ayant pris, ils la trouvèrent douce comme le miel et fraîche, et, en buvant, ils louèrent Dieu qui donne de telles choses à ses serviteurs.
A Cherson, comme il se trouvait à table avec l'archevêque, le Philosophe dit: « Père, donne-moi une bénédiction comme me la donnerait mon propre père. » Comme quelques-uns demandaient chacun de son côté la raison de son acte, le Philosophe répondit: « En vérité, il se rendra demain de chez nous vers le Seigneur, et il nous abandonnera. » Ceci arriva et sa parole s'accomplit.
Dans le pays des gens de Phoullae il y avait un grand chêne associé à un cerisier. Ils sacrifiaient sous lui, en l'appelant du nom d'Alexandre et sans permettre aux femmes d'approcher ni de participer aux sacrifices qu'on lui offrait. Ayant appris la chose, le Philosophe se rendit sans retard auprès d'eux et restant debout au milieu d'eux il leur dit: « Les Hellènes sont entrés dans la peine éternelle parce qu'ils adoraient comme Dieu le ciel et la terre, et ce sont pourtant de grandes et bonnes choses. Vous donc qui adorez un arbre, pauvre chose destinée à être brûlée, comment voulez-vous être libérés du jeu éternel? » Ils lui répondirent: « Nous ne venons pas de commencer à agir ainsi; nous avons hérité cette pratique de nos pères et nous recevons de lui tout ce que nous demandons, surtout une pluie abondante. Comment oserions-nous donc faire ce que personne de nous n'a jamais osé? Car si quelqu'un osait faire cela, il verrait bientôt la mort et nous ne verrions plus jamais de pluie. » Le Philosophe leur répondit: « Dieu parle de vous dans les Livres, et vous, comment l'abandonnez-vous ? Car Isaïe s'écrie à la face de Dieu: Je viens pour rassembler toutes les nations et toutes les langues; elles viendront et elles venant ma gloire; je mettrai un signe parmi elles et d'elles j'enverrai le salut vers les nations, à Tarsis, a Ful, a Lud, à Mosoch, à Tubal et en Hellade et aux îles lointaines qui n'ont pas entendu mon nom, et elles publieront ma gloire parmi les nations. [Ainsi] parle le Seigneur tout puissant. Et encore: Voici, j'enverrai de nombreux pêcheurs et chasseurs, et ils vous chasseront des collines et des rochers de pierre. Mes frères, reconnaissez Dieu, votre créateur. Voici l'évangile du Nouveau Testament divin, dans lequel vous êtes baptisés. » Les ayant exhortés par de douces paroles, il les invita à couper l'arbre et à le brûler. Leur prince s'inclina et alla baiser l'Evangile et tous [firent] de même. Après avoir reçu du Philosophe des cierges blancs, ils s'approchèrent de l'arbre en chantant et le Philosophe, ayant pris une hache et l'ayant frappé à trente-trois reprises, ordonna à tous de le frapper, de le déraciner et de le brûler. La même nuit une pluie fut envoyée par Dieu; tout joyeux, ils louèrent Dieu, et Dieu s'en était beaucoup réjoui.
CHAPITRE XIII.
Le Philosophe partit pour Constantinople ; ayant vu l'empereur, il vivait paisiblement et, se tenant dans l'église des Saints-Apôtres, il priait Dieu. Il y a à Sainte-Sophie un calice fait d'une pierre précieuse, Œuvre de Salomon, sur lequel figurent en caractères hébraïques et samaritains des vers que personne n'avait pu ni lire ni traduire. Le Philosophe, l'ayant pris, les lut et les traduisit.
Le premier vers est ainsi conçu: Mon calice, mon calice, prédis jusqu'où l'étoile; sois utilisé pour boire par le Seigneur premier-né, qui veille la nuit. Puis le second vers: Pour la dégustation du Seigneur, faite d'un autre bois; bois et enivre-toi avec joie et écrie-toi alléluia. Et ensuite le troisième vers: Voici le prince et l'univers assemblé verra sa gloire, et David [est] roi parmi eux. Puis un chiffre est écrit: neuf cent dix. L'ayant déchiffré de façon précise, le Philosophe trouva que de la douzième année du règne de Salomon a la naissance du Christ [se sont écoulés] neuf cent quatre-vingt-dix ans. Et c'est là une prophétie relative au Christ.
CHAPITRE XIV.
Pendant que le Philosophe se réjouissait en Dieu, un nouvel événement survint ainsi qu'une besogne nullement inférieure aux précédentes. Rastislav, le prince morave, poussé par Dieu, prit en effet conseil de ses seigneurs et des Moraves et envoya [des messagers] auprès de l'empereur Michel, en disant; « Notre peuple a renié le paganisme et observe la loi chrétienne, [mais] nous n'avons pas de maître capable de nous instruire de la vraie foi chrétienne, dans notre langue, pour que d'.autres régions encore, voyant cela, nous imitent. Envoie [-nous] donc, Seigneur, un tel évêque et un tel maître, car de chez vous vers toutes les régions émane toujours la bonne loi. » Ayant convoqué son conseil, l'empereur manda Constantin le Philosophe et lui tint ce discours: « Je sais que tu es fatigué, [mon] Philosophe, mais il te faut aller là-bas. Car nul autre que toi ne peut accomplir cette besogne. » Et le Philosophe répondit: « Quoique je sois fatigué et malade de corps, je m'y rendrai avec joie, s'ils ont des lettres pour leur langue. » Mais l'empereur lui dit: « Mon grand-père et mon père et beaucoup d'autres encore, ne les ont pas trouvées bien qu'ils les aient cherchées. Comment moi pourrais-je donc les découvrir? » Mais le Philosophe dit: « Qui peut écrire sur l'eau une homélie et être traité d'hérétique? » A quoi l'empereur et Bardas, son oncle, répondirent: « Si tu le veux, Dieu peut te le donner, lui qui donne à tous ceux qui demandent en toute confiance et qui ouvre à ceux qui frappent. » Le Philosophe partit et, suivant une vieille habitude, se mit à prier avec d'autres compagnons. Bientôt Dieu lui apparut, [Dieu] qui exauce les prières de ses serviteurs. Et alors il composa des lettres et commença à écrire la parole de l'évangile: Au commencement était le Verbe et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu, et ainsi de suite.
L'empereur s'en réjouit, rendit grâces à Dieu avec ses conseillers et envoya Constantin, porteur de nombreux cadeaux, après avoir écrit à Rastislav la lettre suivante: « Dieu qui veut que chacun parvienne à la connaissance de la vérité et atteigne une plus grande dignité, ayant vu ta foi et ton zèle, a agi, même maintenant à notre époque, et a révélé des lettres dans votre langue — ce qui n'avait pas encore existé sauf dans les premiers temps — pour que vous aussi vous soyez comptés parmi les grands peuples qui louent Dieu dans leur langue. Nous t'avons donc envoyé celui à qui Dieu les a révélées, homme pieux et orthodoxe, très lettré et philosophe. Accepte ainsi un don plus grand et plus précieux que n'importe quel or, quel argent, quelles pierres précieuses et quels trésors, [qui sont choses] qui passent. Efforce-toi d'affermir avec lui la parole et de rechercher Dieu de tout ton cœur. Ne repousse pas le salut commun; incite-les tous au contraire à ne pas s'attarder mais à entrer dans la voie de la vérité, pour que toi même, les ayant amenés par ton travail à la connaissance de Dieu, puisses en recevoir ta récompense, que tu puisses laisser ton souvenir aux autres générations dans les siècles actuels et futurs pour toutes les âmes qui croiront au Christ, notre Dieu, de maintenant jusque dans l'éternité, et ceci à l'exemple de Constantin, le grand empereur. »
CHAPITRE XV.
Quand il fut arrivé en Moravie, Rastislav le reçut avec honneur et, ayant rassemblé des élèves, les [lui] confia pour qu'il les instruisit. Ayant bientôt traduit l'ordre ecclésiastique, il leur apprit l'office du matin, les heures, les vêpres, le petit office du soir et l'office des sacrements. Et, selon le mot du prophète? les oreilles des sourds s'ouvrirent pour entendre les paroles de l'Ecriture et les muets se mirent à parler clairement. Et Dieu se réjouit de cela et le diable en fut rempli de honte.
Tandis que se développait ainsi la doctrine divine, le Mauvais, envieux depuis les origines, le diable maudit, ne supporta pas cet heureux événement, mais étant entré dans ses instruments [d'iniquité] il se mit à exciter beaucoup de gens en leur disant: « Cela ne glorifie pas Dieu. Si cela lui était en effet agréable, n'aurait-il pas pu faire en sorte que dès les origines ceux-ci glorifiassent Dieu en fixant leurs paroles au moyen de [ces lettres? Il n'a choisi que trois langues, l'hébreu, le grec et le latin, pour rendre grâces à Dieu. » Ceux qui parlaient ainsi étaient des clercs latins, archiprêtres, prêtres et disciples. Mais les combattant, comme David avait combattu les étrangers, il les vainquit grâce aux paroles de l'Écriture et il les appela « gens aux trois langues » [et Pilâtiens] parce que Pilate avait ainsi rédigé l'inscription [de la croix] du Seigneur. Ils ne disaient pas seulement cela; ils enseignaient encore une autre impiété en affirmant que sous la terre vivent des hommes à grandes tètes, que tout reptile est la créature du diable, que si quelqu'un tue une vipère, il est par là absous de neuf péchés et que, si quelqu'un tue un homme, il doit boire pendant trois mois à une écuelle de bois, sans toucher à un verre. Et ils ne défendaient pas les sacrifices conformes a l'usage ancien ni les liaisons illégitimes. Mais par le feu de sa parole il consuma tout cela comme des épines, en disant: « Le prophète dit à ce sujet: Offre à Dieu un sacrifice de louange et donne au Très-Haut tes prières; mais ne délaisse pas l'épouse de ta jeunesse. Car si tu la délaisses après l'avoir haie, l'iniquité enveloppera tes passions, dit le Seigneur tout puissant. Et veillez par votre esprit à ce que personne de vous ne délaisse l'épouse de sa jeunesse. Mais vous avez fait ce que je hais, puisque Dieu a témoigné entre toi et l'épouse de ta jeunesse que tu as délaissée. Et elle est ta part et l'épouse de ton contrat? Et dans l'Evangile le Seigneur [dit]: Vous avez appris qu'on dit aux anciens: Tu ne commettras pas d'adultère. Mais moi je vous dis que quiconque a regardé une femme pour la convoiter a déjà commis une iniquité avec elle dans son cœur. Et encore? Je vous dis que celui qui a répudié sa femme, sauf pour cause d'infidélité, lui fait commettre une iniquité et celui qui épouse une femme répudiée par son mari commet un adultère. Et l'apôtre dit fi Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas. »
Ayant passé quarante mois en Moravie, il partit pour faire consacrer ses disciples. En route, Kocel, prince de Pannonie, l'accueillit et ayant pris un grand plaisir aux lettres slaves, jusqu'à les apprendre, il [lui] confia environ cinquante élèves, pour qu'ils les apprennent [aussi]. Il le combla d'honneurs, et l'accompagna. Mais Constantin ne reçut de Rastislav et de Kocel ni or, ni argent ni rien d'autre. Il [leur] transmit la parole de l'Evangile sans [demander de] récompense. A eux deux il ne demanda que neuf cents captifs qu'il remit en liberté.
CHAPITRE XVI.
Pendant qu'il était à Venise, des évêques, des prêtres et des moines s'étaient rassemblés contre lui, tels des corbeaux en face du faucon, et ils avaient développé l'hérésie des trois langues, en disant: « Dis-nous, homme, comment tu as fabriqué des livres pour les Slaves et comment tu les enseignes, alors que personne avant toi n'avait découvert [le moyen], pas même les apôtres, ni le pape romain, ni Grégoire le Théologien, ni Jérôme, ni Augustin? Nous d'ailleurs, nous ne connaissons que trois langues qui permettent de louer Dieu dans les livres, l'hébreu, le grec et le latin. » Mais le Philosophe répondit: « Est-ce que la pluie ne tombe pas, envoyée par Dieu, également sur tout le monde? Est-ce que le soleil ne jette pas sa lumière de la même façon sur tout le monde? Est-ce que nous ne respirons pas dans l'air tous de la même façon? N'avez-vous pas honte de ne fixer que trois langues et d'ordonner [ainsi] que tous les autres peuples et les autres nations restent aveugles et sourds? Dites-moi si vous faites [ainsi] de Dieu un impotent qui ne peut pas faire [cela] ou un envieux qui ne [le] veut pas? Nous savons de nombreux peuples qui connaissent l'écriture et qui louent Dieu, chacun dans sa propre langue. On sait que ce sont les suivants: les Arméniens, les Perses, les Abasgues, les Ibères, les Sougdes, les Goths, les Avares, les Turcs, les Khazars, les Arabes, les Égyptiens, les Syriens et beaucoup d'autres encore. Si vous ne voulez pas le comprendre par cet argument, apprenez le jugement de l'Écriture. David s'écrie en effet: Chantez au Seigneur, toute la terre, chantez au Seigneur un chant nouveau, et encore: Remplissez toute la terre d'allégresse pour le Seigneur, chantez, exultez et chantez, et une autre fois: Que toute la terre t'adore et qu'elle te loue et qu'elle chante ton nom, ô Très-Haut, puis Louez le Seigneur, vous tous les peuples; et louez-le, vous tous les hommes; et que chaque esprit loue le Seigneur. Et il dit dans l'Évangile: A tous ceux qui l'ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Et encore au même endroit: Ce n'est pas pour eux seulement que je prie mais encore pour ceux qui croient en moi à cause de leur parole, afin que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi et comme je suis en toi. Et Mathieu dit: Tout pouvoir m'est donné dans le ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, et baptisez au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, en leur apprenant à observer tout ce que je vous ai ordonné. Et voici, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles, ainsi soit-il. et Marc encore: « Allez par tout le monde et prêchez l'Évangile à toute la Création. Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné. Et voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru: en mon nom ils chasseront les démons et ils parleront de nouvelles langues. Et il vous parle aussi, à vous, docteurs des lois: Malheur à vous, scribes et pharisiens, vous hypocrites, vous qui fermez aux hommes le royaume des deux. Car vous n'y entrez pas vous-mêmes et vous empêchez d'y entrer ceux qui le veulent. » Et encore: « Malheur à vous, scribes, car vous avez pris la clef de la science, mais vous mêmes vous n'êtes pas entrés, et ceux qui voulaient entrer, vous les avez empêchés. » Et Paul dit aux Corinthiens: « Je veux que vous parliez tous les langues mais, encore plus, que vous prophétisiez. Car celui qui prédit est plus grand que celui qui parle des langues à moins que ce dernier n'interprète pour que l'Église reçoive l’édification. » Et maintenant, frères, de quelle utilité pourrais-je vous être si je venais à vous, parlant des langues, mais ne vous parlant pas par révélation, ou par connaissance, ou par prophétie, ou par doctrine? Et si les objets inanimés qui rendent un son comme une flûte ou une harpe ne donnaient pas des sons distincts, comment saurait-on ce qu'on chante ou ce qu'on joue sur la harpe? Et si la trompette rendait un son confus, qui se préparerait au combat? De même vous, si par la langue vous ne donniez pas une parole distincte, comment saurait-on ce qui se dit? Vous parlerez en l'air. Si nombreux, en effet, que puissent être, par exemple, dans le monde les divers sons, aucun d'eux n'est sans signification. Si donc je ne connais pas le sens du son, je serai un barbare pour celui qui parle et celui qui parle sera pour moi un barbare. De même vous, puisque vous aspirez aux biens spirituels, tâchez d'en avoir en abondance pour l'édification de l'Église. Celui qui parle une langue [étrangère] prie pour qu'elle soit expliquée. Car si je prie dans [cette] langue, mon esprit est en prière, mais mon intelligence reste stérile. Que [faire] donc? Je prierai par l'esprit et je prierai aussi avec l'intelligence. Je chanterai par l'esprit, mais je chanterai aussi avec l'intelligence. Si tu bénis par l'esprit un homme sans intelligence, comment celui-ci pourra-t-il dire « Ainsi soit-il » après ta bénédiction, s'il ne sait pas ce que tu dis? Tu rends bien d'excellentes actions de grâce, mais l'autre n'est pas édifié. Je rends grâces à Dieu de ce que je parle plus de langues que vous tous. Mais, dans l'église, j'aime mieux prononcer cinq mots avec mon intelligence, pour instruire aussi les autres, que dix mille mots en une langue [étrangère]. Frères, ne soyez pas des enfants quant à l'intelligence. Soyez des petits [enfants] pour ce qui est de la malice, mais à l'égard de l'intelligence, soyez [des hommes] faits. Il est écrit dans la loi: Je parlerai à ce peuple dans d'autres langues et avec d'autres bouches, mais même ainsi ils ne m'écouteront pas, dit le Seigneur. C'est ce qui fait que les langues ne sont pas un signe pour les fidèles mais pour les infidèles. Les prophéties du contraire ne sont pas pour les infidèles mais pour les fidèles. Si toute l'Église se rassemblait sur une place et si tous se mettaient à parler en langues [étrangères], et si un illettré ou un infidèle entraient ne diraient-ils pas que vous êtes fous? Mais si tous prophétisent et s'il entre un illettré ou un infidèle, il sera convaincu par tous, jugé par tous, les secrets de son cœur seront révélés et alors, tombant la face contre terre, il adorera Dieu en confessant que Dieu en vérité est en vous. Qu'y a-t-il donc, frères? Quand vous vous rassemblez, chacun de vous a le psaume, ou la doctrine, ou l'apocalypse, ou [sa] langue, ou l'interprétation; que tout [cela] soit fait pour l'édification. Si quelqu'un parle en langue [étrangère], que cela se fasse par deux ou, au plus, par trois, et par parties, et que quelqu'un explique. Mais s'il n'y a pas d'interprète, qu'il se taise dans l'église, et qu'il parle à lui-même et à Dieu. Quant aux prophètes, que deux ou trois parlent et que les autres jugent. Si quelqu'un de ceux qui sont assis a une révélation, que le premier se taise. Car vous tous pouvez prophétiser, l'un après l'autre, pour que tous apprennent et que tous soient exhortés. Et les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes. Car Dieu n'est pas [un Dieu] de discorde, mais de paix. C'est ainsi dans toutes les églises des Saints. Vos femmes doivent se taire dans les églises. Il ne leur est, en effet, pas permis de parler; elles doivent obéir, comme la loi même le dit. Mais si elles veulent apprendre quelque chose, qu'elles interrogent leurs maris à la maison. Car il n'est pas convenable que la femme parle dans l'église. Est-ce que la parole de Dieu est sortie de chez vous? Est-ce qu'on ne la trouve qu'en vous? Si quelqu'un croit être prophète ou intelligent, qu'il connaisse ce que je vous écris car ce sont les commandements du Seigneur. Si quelqu'un ne comprend pas, qu'il ne comprenne pas! Frères, efforcez-vous donc de prophétiser mais ne défendez pas de parler en langues [étrangères]. Que tout soit fait dignement et suivant l'ordre. Et il dit ailleurs? Toute langue doit confesser que le Seigneur Jésus-Christ [est] dans la gloire de Dieu le Père, ainsi soit-il. »
Par ces paroles et. par d'autres encore, plus fortes, il les confondit, puis les quitta et s'en alla.
CHAPITRE XVII.
Le pape de Rome, renseigné sur lui, l'envoya chercher. Et quand il arriva à Rome, l’apostolicus Hadrien alla en personne à sa rencontre, accompagné de tous les citoyens, tous portant des cierges, car il apportait aussi les reliques de Saint Clément, martyr et pape romain. Dieu fit alors de très célèbres miracles. Un paralytique fut en effet guéri et beaucoup d'autres furent délivrés de diverses maladies. Des prisonniers même, qui avaient invoqué le Christ et Saint Clément, furent libérés par ceux qui les avaient capturés.
Le pape prit les livres slavons, les consacra et les déposa dans l'église de la Sainte Vierge, qu'on appelle Phatne. Et l'on chanta sur eux la sainte liturgie. Puis le pape ordonna à deux évêques, Formose et Gondrique (Gauderich), de sacrer les disciples slavons. Et après leur ordination ils chantèrent la liturgie en langue slavonne dans l'église de l'apôtre Pierre; le lendemain ils chantèrent dans l'église de Sainte Pétronille et le surlendemain dans l'église de Saint André, puis dans l'église du grand docteur catholique, l'apôtre Paul. Ils [y] chantèrent toute la nuit, glorifiant [Dieu] en slavon. Et le lendemain ils [chantèrent] de nouveau la liturgie sur son saint sépulcre, aidés par l'évêque Arsène, qui était l'un des sept évêques, et par Anastase le Bibliothécaire. Et le Philosophe ne cessait d'en rendre dignement grâces à Dieu avec ses disciples.
Les Romains ne cessaient d'aller à lui et de le questionner sur toutes sortes de choses. Et ils recevaient de lui une double et même une triple explication.
Un Juif qui était également venu discuta avec lui; et il lui dit un jour: « Le Christ n'est pas encore venu, si l'on en juge par le nombre d'années dont parlent les prophètes et où il naîtra d'une vierge. » Mais ayant dénombré toutes les années depuis Adam, en suivant les générations, le Philosophe lui démontra clairement qu'il était [déjà] venu et combien il y a eu d'années depuis cette époque jusqu'à nos jours. Alors l'ayant renseigné, il le congédia.
CHAPITRE XVIII.
De nombreux travaux l'accablèrent et il tomba malade. Endurant la maladie pendant de longs jours, il eut une fois une vision divine et il se mit à chanter ce qui suit: « De ceux qui m'ont dit: Nous allons entrer dans la maison du Seigneur, mon esprit s'était réjoui et mon cœur avait exulté. » Et ayant revêtu ses habits de cérémonie, il resta ainsi toute la journée, se réjouissant et disant: « Dès maintenant je ne suis plus le serviteur ni de l'empereur ni de qui que ce soit sur terre, mais seulement celui de Dieu tout puissant, je n'étais pas, j'ai commencé à exister et je serai pour l'éternité, ainsi soit-il. »
Le lendemain il revêtit le saint costume monacal et, ayant pris la lumière à la lumière, il se donna le nom de Cyrille. Et il resta cinquante jours ainsi vêtu.
Quand l'heure se fut approchée, à laquelle il devait recevoir la paix et partir pour les demeures éternelles, il éleva les mains et, tout en larmes, adressa à Dieu une prière: « Seigneur, mon Dieu, vous qui avez créé tous les chœurs des anges et toutes les puissances incorporelles, vous qui avez étendu le ciel et formé la terre et qui avez appelé du non-être à l'être tout ce qui existe, vous qui exaucez toujours ceux qui font votre volonté, qui vous craignent et qui observent vos commandements, exaucez ma prière et conservez votre fidèle troupeau auquel vous m'aviez préposé, moi qui suis votre incapable et indigne serviteur. Libérez de la malice impie et païenne ceux qui prononcent des blasphèmes contre vous. Détruisez l'hérésie des trois langues, augmentez votre Église par l'accession d'une multitude et rassemblez-les tous dans l'unité. Faites [d'eux] un excellent peuple, uni dans la vraie foi qui est la vôtre et dans la vraie confession, et inspirez leurs cœurs de la parole de votre enseignement. Car c'est votre don, si vous nous avez acceptés, nous qui sommes indignes pour la prédication de l'Évangile de votre Christ, nous qui nous aiguisons pour les bonnes œuvres et faisons ce qui vous est agréable. Ceux que vous m'avez donnés, je vous les rends comme les vôtres. Régissez-les de votre droite puissante et couvrez-les du toit de vos ailes pour que tous louent et glorifient votre nom, le nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ainsi soit-il. »
Il donna alors à tous un baiser saint et dit: « Béni soit Dieu qui ne nous livre pas comme proie aux dents [de nos adversaires invisibles] mais qui a rompu leurs filets et qui nous a libéré de la perdition. »
Et il s'endormit ainsi dans le Seigneur, âgé de quarante-deux ans, le quatorze février, indiction seconde, l'année six mille trois cent soixante-dix-sept de la création du monde.
Et l'apostolicus ordonna que tous les Grecs qui étaient à Rome, ainsi que les Romains, se rassemblassent avec des cierges, chantassent sur son corps et l’enterrassent exactement [de la même façon] qu'ils l'auraient fait pour le pape lui-même. Ainsi firent-ils.
Mais Méthode, son frère, adressa à l'apostolicus la prière suivante: « Notre mère nous a fait jurer que celui de nous deux qui mourrait le premier serait ramené par l'autre au monastère de son frère et enterré là-bas. » Le pape ordonna alors de le déposer dans un cercueil et de l'enfermer avec des clous de fer. Et il le tint ainsi pendant sept jours tandis qu'il faisait les préparatifs pour le voyage. Mais les évêques romains dirent à l'apostolicus: « Puisque, après avoir visité de nombreux pays, Dieu l'a amené ici et a reçu ici son âme, il convient qu'il y soit enterré comme un homme honorable. » Et l'apostolicus dit: « A cause de sa sainteté et de son amour, je le ferai enterrer, contrairement à l'usage romain, dans ma sépulture, dans l'église du saint apôtre Pierre. » Et son frère dit: « Puisque vous ne m'avez pas écouté et ne me l'avez pas donné, qu'il repose, si cela vous plaît, dans l'église de Saint Clément, avec qui il vint ici. » Et l'apostolicus ordonna qu'il fût fait ainsi.
Quand les évêques se furent assemblés avec tout le peuple pour lui faire de dignes funérailles, ils dirent: « Ouvrons le cercueil et voyons si on ne lui a rien enlevé. » Mais malgré tous leurs efforts la volonté de Dieu les empêcha d'ouvrir la bière. C'est pourquoi ils le déposèrent avec son cercueil dans le sépulcre, à droite de l'autel, dans l'église de saint Clément ou commencèrent à se faire de nombreux miracles.
A ce spectacle, les Romains rendirent, davantage encore, hommage à sa sainteté et le vénérèrent plus qu'avant. Ayant peint une image sur son sépulcre ils commencèrent à allumer, jour et nuit, une lumière au-dessus de lui, louant Dieu qui honore ainsi ceux qui le célèbrent. A lui gloire, honneur et vénération dans les siècles des siècles, ainsi soit-il.
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VIE DE MÉTHODE.
Le sixième jour du mois d'avril.
Commémoration et vie de notre vénérable père et docteur, Méthode, archevêque morave.
Père, donnez votre bénédiction!
CHAPITRE I.
Dieu miséricordieux et tout puissant qui a fait passer du non-être à l'être toutes les choses, visibles et invisibles, et qui les a ornées d'une telle beauté qu'on peut, en la regardant avec quelque réflexion, reconnaître en partie et comprendre celui qui a produit des œuvres si admirables et si nombreuses. Car la magnificence et la beauté des œuvres permettent d'en connaître l'auteur, celui que les anges célèbrent en chantant de leur voix trois fois sainte et que tous les orthodoxes honorent dans la Sainte-Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, c'est-à-dire en trois substances qu'il est possible d'appeler trois personnes, mais en une seule divinité. Car avant que le temps ait été, avant toute heure et avant toute année, au-dessus de toute intelligence et de toute compréhension incorporelle, le Père a lui-même engendré le Fils, comme l'a dit la Sagesse: « Avant toutes les collines, j’ai été engendrée. » Et dans l'Évangile le Verbe divin a dit lui-même de sa bouche très pure, après avoir pris corps pour notre salut dans les derniers temps: «Je suis dans le Père et le Père est en moi. » De ce Père procède aussi le Saint-Esprit, comme le Fils l'a dit lui-même de sa voix divine: « L'Esprit de la Vérité qui procède du Père. »
Ce même Dieu acheva toute la création, suivant le mot de David: « Les deux ont été consolidés par la parole du Seigneur et toute leur force par le souffle de sa bouche. » Comme il l'a dit, ils ont été faits, il a commandé et ils ont été créés. Avant toutes choses il a créé l'homme en prenant de l'humus de la terre, en [lui] inspirant de lui-même l'âme par un souffle vital et en [lui] donnant une intelligence raisonnable et le libre arbitre, pour qu'il entre dans le paradis. A titre d'expérience il lui donna un commandement pour qu'il devint immortel s'il l'observait, et pour que, s'il le transgressait, il mourût de sa [propre] volonté, et non sur l'ordre de Dieu. Le diable, ayant vu l'homme ainsi honoré et élevé à la place d'où son orgueil l'avait fait choir, fit en sorte que [cet homme] transgressât la règle, fût chassé du paradis et fût condamné à mort. Et depuis lors le diable commença à troubler et à tenter le genre humain par toutes sortes d'embûches.
Mais Dieu dans [sa] grande miséricorde et [son] amour n'a pas abandonné l'homme jusqu'à la fin; chaque année, en tous temps il a choisi des hommes dont il a révélé aux gens les actions et les luttes pour qu'ils s'exhortent tous au bien, en se conformant à eux, tel Enoch qui, le premier, osa prononcer le nom du Seigneur. Par la suite, ayant été agréable à Dieu, Enoch mourut.
Dans sa génération se trouva Noé le Juste qui dans son arche échappa au déluge pour que la terre fût remplie et embellie par la créature de Dieu. Abraham, après la division des peuples, quand tous se furent perdus dans l'erreur, connut Dieu, s'appela son ami et reçut cette promesse: « Dans ta postérité seront bénies toutes les nations de la terre. » Isaac, comme le Christ, fut conduit sur une montagne pour être sacrifié. Jacob détruisit les idoles étrangères, et il vit une échelle [allant] de la terre jusqu'au ciel et par laquelle montaient et descendaient les Anges de Dieu; bénissant ses fils, il prophétisait à propos du Christ. Joseph en Egypte rassasia le peuple et parut [agréable] à Dieu. Job l'Aphsitidique est qualifié, par l'écriture, de juste, de véridique et d’irrépréhensible, lui qui a été béni par Dieu pour avoir accepté la souffrance et l'avoir supportée. Moïse, en compagnie d'Aron, faisant partie des prêtres de Dieu, fut appelé Dieu du Pharaon; il accabla l'Egypte, il fit sortir les gens de Dieu au moyen d'un nuage lumineux pendant le jour et d'une colonne de feu pendant la nuit et il divisa la mer. [Eux] traversèrent à pieds secs, mais il noya les Égyptiens. Et dans le désert il abreuva d'eau ceux qui en manquaient, il [les] rassasia même de pain angélique et d'oiseaux. Et il parla à Dieu face à face, comme il est possible à l'homme de parler avec Dieu; il donna aux gens la loi écrite par le doigt de Dieu. Jésus Nave répartit la terre entre les gens de Dieu, après avoir combattu leurs adversaires. Les Juges remportèrent également de nombreuses victoires. Samuel, ayant reçu la grâce divine, fit l'onction au roi et l'institua par la parole de Dieu. David paissait les hommes dans la paix et il leur apprit les chants divins. Salomon, ayant reçu de Dieu la sagesse plus [libéralement] que tous les hommes, composa de nombreuses [et] bonnes paraboles, bien qu'il ne les eût pas terminées seul. Elie révéla par la famine la méchanceté des hommes et ressuscita un mort; il fit même descendre du feu du ciel et brûla beaucoup de gens; il consuma même par un feu miraculeux des victimes pour les sacrifices et, ayant tué des prêtres iniques, il entra au ciel sur un char de feu et sur des chevaux, après avoir donné à [son'] disciple un double esprit. Elisée, ayant pris [son] manteau, opéra un double miracle. Les autres prophètes, chacun à son époque, prédirent des choses extraordinaires qui devaient se réaliser.
Jean qui, après les précédents, fut le grand médiateur entre l'ancien et le nouveau Testament, celui qui baptisa le Christ, est devenu témoin et prédicateur pour les vivants et pour les morts. Pierre et Paul, ainsi que les autres disciples du Christ, après avoir traversé le monde entier comme un éclair, ont illuminé toute la terre. Après eux les martyrs ont effacé de leur sang la souillure et les successeurs des saints Apôtres, en baptisant les rois, ont anéanti le paganisme après bien des combats et bien des efforts. Le vénérable Silvestre, assisté de trois cent dix-huit Pères et soutenu par le grand empereur Constantin, réunit le premier concile à Nicée. Il vainquit Arius et l'anathématisa, [lui] et l'hérésie qu'il avait dressée contre la Sainte-Trinité, comme jadis Abraham avec trois-cent dix-huit serviteurs avait battu les rois et reçu de Melchisédech, roi de Salem, la bénédiction, le pain et le vin. Car il était le prêtre de Dieu le très-haut Damase et le théologien Grégoire, avec cent cinquante Pères et le grand empereur Théodose, confirmèrent à Constantinople le saint symbole, c'est-à-dire « je crois en un seul Dieu », et après avoir excommunié Macédonius ils l'anathématisèrent, [lui] et l'hérésie qu'il prêchait contre le Saint-Esprit. Célestin et Cyrille avec deux cents Pères et un autre empereur déracinèrent à Ephèse Nestorius et toute l'hérésie qu'il proclamait contre le Christ. Léon et Anatole, avec l'empereur orthodoxe Marcien et six cent trente Pères, anathématisèrent à Chalcédoine le non-sens et l'hérésie d'Eutychès. Vigile ainsi que le pieux Justin et cent soixante-cinq Pères, ayant convoqué le cinquième concile, portèrent condamnation après examen. Agathon, le pape apostolique, avec deux cent soixante-dix Pères et le vénérable empereur Constantin, jugula, au sixième concile, de nombreux perturbateurs et, [en accord] avec tous les Pères, [les] ayant chassés, il les anathématisa, à savoir Théodore de Pharan, Serge et Pyrrhos, Cyre d'Alexandrie, Honorius de Rome, Macaire d'Antioche et leurs autres auxiliaires; ayant basé la foi chrétienne sur la vérité, ils la consolidèrent.
CHAPITRE II.
Après tous ceux-là, Dieu miséricordieux, qui veut que tout homme soit sauvé et parvienne à la connaissance de la vérité, a suscité pour le bon service, à notre époque et pour notre nation dont personne ne s'était en aucune façon occupé, notre maître, le bienheureux éducateur Méthode dont les mérites et les luttes, en comparaison de ces hommes qui furent agréables à Dieu, ne pourront pas nous rendre honteux. Il fut en effet égal à certains [de ces hauts personnages], de peu inférieur à certains autres, supérieur à d’autres encore, dépassant les éloquents par son activité et les plus actifs par sa parole. S'étant rendu pareil à tous il montra en lui les manières de tous, la crainte de Dieu, l'observation des préceptes, la pureté du corps, les prières fréquentes et la sainteté, la parole forte et pacifique — forte pour les adversaires mais pacifique pour ceux qui acceptaient l’admonestation — la colère, la simplicité, la grâce, l'amour, la souffrance et la patience. Il est devenu tout pour tous afin d'amener tout le monde au salut.
Il était, dans les deux lignées, d'une famille non pas modeste mais très bonne, respectée et connue d'abord de Dieu, de l'empereur et de toute la région de Salonique. [Cela] ressortait, d'ailleurs, même de son aspect physique. C'est pourquoi même les juristes, l'aimant depuis son enfance, parlaient de lui avec respect, jusqu'à ce que l'empereur, ayant appris sa sagacité, lui eût donné une principauté slave à gouverner. Je dirais donc que ce fut comme s'il prévoyait qu'il l'enverrait chez les Slaves comme éducateur et comme premier archevêque et afin qu'il apprît à connaître toutes les coutumes slaves et s'y habituât petit à petit.
CHAPITRE III.
Ayant passé de nombreuses années dans cette principauté et ayant vu bien des tempêtes, bien des troubles dans cette vie, il échangea les obscurités terrestres contre les idées célestes. Car il ne voulait pas troubler [son] âme bienheureuse par des choses qui ne durent pas éternellement. Quand il en eut trouvé l'occasion, il abandonna la principauté et s'en alla au Mont-Olympe, où vivent les saints pères. S'étant tonsuré il revêtit un costume noir et obéit dans l'humilité, observant pleinement la règle monacale et s'occupant des livres.
CHAPITRE IV.
Quand l'époque fut venue, l'empereur manda le Philosophe, son frère, [pour l'envoyer] en Khazarie et celui-ci le prit avec lui comme auxiliaire. Car il y avait des Juifs qui blasphémaient beaucoup la foi chrétienne. Il dit: « Je suis prêt à mourir pour la foi chrétienne » et il obéit, et allant [avec lui] il servit comme un esclave son frère cadet, auquel il obéissait. Lui par la prière, le Philosophe par la parole, ils vainquirent et couvrirent de honte [les Juifs],
L'empereur et le patriarche, voyant le bon combat [qu'il livrait] sur le chemin de Dieu, [voulurent] le persuader de se laisser sacrer archevêque à un poste d'honneur où l'on avait besoin d'un tel homme. Lui n'ayant pas voulu, ils le contraignirent et l'établirent comme abbé dans un couvent qui s'appelle Polychron, dont la mesure (le revenu) est de quatorze boisseaux d'or et où habitent plus de soixante-dix pères.
CHAPITRE V.
Il arriva à cette époque que Rostislav, le prince slave, et Svatopluk dépêchèrent de Moravie auprès de l'empereur Michel pour lui dire: « Par la grâce de Dieu nous sommes sains; chez nous sont venus pour enseigner de nombreux chrétiens, des Italiens, des Grecs, des Germains qui nous ont instruits de différentes façons. Mais nous Slaves, [nous sommes] des gens simples et nous n'avons personne pour nous enseigner la vérité et nous expliquer la pensée [de l'Écriture], Envoie-nous donc, seigneur, un homme capable de nous enseigner toute la vérité. » L'empereur Michel dit à Constantin le Philosophe: « Entends-tu, ô Philosophe, cette parole? Aucun autre que toi ne peut le faire. Voici pour toi de nombreux cadeaux, vas-y et emmène ton frère Méthode l'hégoumène.
Car vous êtes tous deux de Salonique et tous les Saloniciens parlent bien le slave. »
Ils ne pouvaient évidemment pas refuser à Dieu et à l'empereur, selon la parole de Saint Pierre qui a dit: « Craignez Dieu et vénérez l'empereur.» Mais quand ils eurent entendu la grande parole, ils se mirent à prier avec d'autres, empreints du même esprit qu'eux. Et alors après Dieu révéla au Philosophe l'écriture slavonne. Ayant immédiatement combiné les lettres et composé un-sermon il prit le chemin de la Moravie, emmenant Méthode avec lui. De nouveau [celui-ci] se mit à obéir humblement au Philosophe, à le servir et à enseigner avec lui. Et au bout de trois ans ils s'en revinrent de Moravie, après avoir formé des élèves.
CHAPITRE VI.
Ayant entendu parler de tels hommes, et désirant les voir comme des anges de Dieu, l'apostolicus Nicolas les envoya chercher. Il bénit leur enseignement, après avoir déposé l'Evangile slavon sur l'autel du saint apôtre Pierre; et il conféra la prêtrise au bienheureux Méthode.
Beaucoup de gens se moquaient des livres slavons en disant: « Il n'appartient à aucune nation d'avoir son écriture propre sauf aux Juifs, aux Grecs et aux Romains, conformément à l'inscription apposée par Pilate sur la croix du Seigneur. » Mais ceux-là, l'apostolicus les appela Pilatiens et trilinguismes et il les anathématisa. Et il ordonna à un évêque qui souffrait de la même maladie, d'ordonner parmi les disciples slaves trois prêtres et deux lecteurs.
CHAPITRE VII.
Après de longues journées le Philosophe, allant au Jugement, dit à son frère Méthode: « Voici, frère, nous étions tous les deux attachés au même joug, traçant le même sillon. Je tombe sur le champ, après avoir terminé ma journée, mais toi, tu aimes beaucoup la Montagne. Ne veuille pas, à cause de la Montagne, abandonner ton enseignement. Comment peux-tu, en effet, être mieux sauvé? »
CHAPITRE VIII.
Kocel, ayant envoyé [une ambassade] auprès de l'apostolicus demanda que ce dernier lui dépêchât Méthode, notre bienheureux éducateur. Et l'apostolicus dit: « Ce n'est pas seulement à toi mais à tous ces pays slaves que je l'envoie comme éducateur [envoyé] par Dieu et par le saint apôtre Pierre, premier successeur et portier du royaume céleste. » Et il l'envoya après avoir écrit la lettre suivante: « Hadrien, évêque et serviteur de Dieu, à Rostislav, Svatopluk et Kocel. Gloire à Dieu dans les lieux élevés et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté! Nous avons entendu dire à votre sujet des choses qui concernent l'âme et que pour votre salut nous avions ardemment souhaitées par la prière. [Nous avons appris] comment Dieu a soulevé vos cœurs pour que vous le cherchiez et [comment] il vous a montré qu'on doit le servir non pas seulement par la foi mais par les bonnes œuvres. Car la foi sans les œuvres est chose morte et ceux-là errent, qui s'imaginent connaître Dieu alors qu'ils renient par leurs œuvres. Ce n'est pas seulement au Saint-Siège que vous avez demandé un éducateur, c'est aussi au pieux empereur Michel. Et il vous a envoyé le bienheureux Philosophe Constantin et son frère, alors que nous ne le pouvions pas. Lorsqu'ils ont appris que votre pays appartenait au Siège apostolique, ils n'ont rien fait contre le canon, mais ils sont venus à nous, en apportant même les reliques de Saint Clément. Nous nous en sommes trois fois réjoui, et, ayant réfléchi, nous avons décidé d'envoyer dans vos régions, après l'avoir sacré avec ses disciples, Méthode, notre fils, homme de parfaite intelligence et orthodoxe. Il a mission de vous enseigner comme vous l'avez demandé, en expliquant l'Écriture dans votre langue, et suivant absolument tout l'ordre ecclésiastique, la sainte messe comprise, et par conséquent également compris le service et le baptême, ainsi qu'avait commencé [à le faire] par la grâce de Dieu et sur la prière de Saint Clément, Constantin le Philosophe. Et si, de même, quelqu'un d'autre peut enseigner d'une manière digne et orthodoxe, que cela soit saint et béni par Dieu, par nous et par toute l'Église catholique et apostolique, afin que vous puissiez apprendre facilement les commandements divins. Observez seulement cette coutume: qu'au cours de la messe on dise l'épitre et l'évangile d'abord en romain (latin) puis en slavon, pour que la parole de l'Écriture soit remplie: « Toutes les nations louez le Seigneur », et ailleurs: « Tous racontent dans des langues diverses les grandes œuvres de Dieu, selon que le Saint-Esprit leur donnait de s'exprimer. » Et si l'un des maîtres assemblés chez vous, et de ceux qui plaisent aux oreilles et passent de la vérité aux erreurs, osait vous séduire d'une autre façon, en blâmant l'écriture de votre langue, que celui-là soit exclu non seulement de la communion, mais aussi de l'Église? jusqu'à ce qu'il se corrige. Car ceux-là sont des loups, et non pas des brebis, qu'il faut reconnaître à leurs fruits et dont il faut se gardera Quant à vous, mes enfants bien-aimés, écoutez l'enseignement divin et ne repoussez pas les commandements de l'Église, pour devenir, en compagnie de tous les Saints, de vrais adorateurs de Dieu, notre Père céleste. Ainsi soit-il. »
Kocel le reçut avec de grands honneurs et l'envoya, accompagné de vingt nobles, auprès de l'apostolicus, pour être sacré à l'évêché de Pannonie, siège de St Andronique, apôtre de soixante-dix [disciples]. Et ce fut ce qui eut lieu.
CHAPITRE IX.
Par la suite le vieil ennemi, envieux du bien et adversaire de la vérité, souleva contre lui (Méthode) le cœur de l'assassin du roi morave, ainsi que tous les évêques [qui lui dirent] : « Tu enseignes dans notre territoire. » Et il répondit: « Oui, si je savais qu'il fût à vous, j'éviterais de le faire, mais il appartient à Saint Pierre. Et, en vérité, si, par jalousie et par ambition, vous sortez des anciennes frontières, contrairement aux canons, en dressant des obstacles à l'enseignement divin, craignez que, voulant percer avec la tête une montagne de fer, vous ne perdiez le cerveau. » Ils lui dirent: « Si tu parles avec colère, tu te porteras mal. » Il répondit: « Je dis la vérité en présence des empereurs et je n'en] rougis pas, mais vous, vous faites votre volonté contre moi. Car je ne suis pas meilleur que ceux qui, disant la vérité, ont perdu cette vie au milieu de multiples souffrances. »
Bien des paroles ayant été échangées sans qu'ils ne pussent rien lui opposer le roi dit avec bienveillance: « N'importunez pas mon [cher] Méthode. Il est tout en sueur, comme s'il se tenait près d'un poêle. » Et Méthode dit: « Certainement, seigneur. Un jour, des gens ayant rencontré un philosophe en sueur, lui dirent: « Pourquoi sues-tu? » Il leur dit: « J'ai discuté avec des gens grossiers. » Ils se querellèrent à propos de ce mot puis se séparèrent mais, l'ayant envoyé en Souabe, ils le retinrent deux ans et demi.
CHAPITRE X.
[L'écho de ces événements] parvint jusqu'à l’apostolicus. A cette nouvelle, il lança l'excommunication contre eux, tous évêques du roi, pour les empêcher de célébrer la messe, c'est-à-dire le service [liturgique'], tant qu'ils le retiendraient prisonnier. Ils le relâchèrent donc après avoir dit à Kocel: « Si tu le gardes près de toi, tu auras affaire à nous. » Mais ils n'échappèrent pas au jugement de Saint Pierre car quatre d'entre eux moururent.
Il arriva alors que les Moraves, ayant appris que les prêtres allemands qui vivaient au milieu d'eux ne leur voulaient pas de bien mais complotaient contre eux, les chassèrent tous et députèrent auprès de l'apostolicus [pour lui dire] : « Puisque autrefois nos pères ont reçu le baptême de Saint Pierre, donne nous Méthode pour archevêque et pour maître. » L'apostolicus envoya immédiatement ce dernier, et le prince Svatopluk, l'ayant reçu en compagnie de tous les Moraves, lui confia toutes les églises et le clergé de toutes les villes.
Depuis ce jour l'enseignement divin commença à se développer largement, le clergé à augmenter dans toutes les villes et les païens à croire dans le vrai Dieu en rejetant leurs erreurs. De même le pays morave commença à s'étendre davantage de tous côtés et à combattre ses ennemis avec le succès dont eux-même parlent toujours.
CHAPITRE XI.
Il y avait également en Méthode un don prophétique. Comme beaucoup de ses prophéties se sont accomplies, nous en conterons une ou deux. Un prince païen, très puissant, établi sur la Vistule, raillait les chrétiens et les tourmentait. [Méthode] lui fit dire par un envoyé: « serait bon, fils, que tu te fasses baptiser de ton propre gré et dans ton pays pour ne pas être fait prisonnier et baptisé de force en territoire étranger, en te souvenant alors de moi. » Et c'est ce qui arriva.
Une autre fois, comme Svatopluk guerroyant contre les païens n'agissait pas mais temporisait, la messe de Saint Pierre, c'est-à-dire le service [liturgique], étant proche, il lui envoya quelqu'un pour lui dire: « Si tu me promets de passer près de moi avec ton armée le saint pur de Pierre, fait confiance en Dieu qu'il te les livrera sous peu », ce qui en effet arriva.
Un homme, très riche, un conseiller, épousa une de ses parentes, sa belle-sœur, et [Méthode] malgré des exhortations, des explications et des avertissements répétés ne réussit pas à les séparer; car d'autres, qui se disaient serviteurs de Dieu, les séduisaient secrètement, les flattant à cause de leur fortune, pour finalement les faire rompre avec l'Église. Il dit: « Il viendra un temps où ces flatteurs ne pourront plus [vous] aider; vous vous souviendrez alors de mes paroles mais il n'y aura plus rien à faire. » Soudain, après leur séparation d'avec Dieu, une catastrophe fondit sur eux, et il fut impossible de retrouver leur place car l'aquilon les avait emportés comme de la poussière et les avait dispersés. D'autres événements analogues [se produisirent] qu'il expliquait clairement au moyen de paraboles.
CHAPITRE XII.
Impatient de tout cela, le vieux criminel, jaloux du genre humain, souleva contre Méthode un certain nombre de gens — tels Dathan et Abiron contre Moïse — les uns ouvertement, les autres clandestinement, ceux-là qui atteints par l'hérésie hyiopatérique détournent les plus faibles du droit chemin, en disant: « C'est à nous que le pape a donné le pouvoir, et il ordonne de repousser cet homme ainsi que sa doctrine. »
Ayant rassemblé tous les Moraves ils ordonnèrent de lire la lettre devant eux, pour qu'ils fussent avisés de son expulsion. Le peuple — c'est là une habitude humaine — tomba dans la tristesse et le chagrin, [à la pensée] d'être privé d'un tel pasteur et d'un tel maître. Ne faisaient exception à ce deuil que les faibles, agités par l'imposture comme les feuilles par le vent. Ayant honoré la lettre de l'apostolicus, ils trouvèrent écrit: « Notre frère Méthode, le Saint, est orthodoxe et accomplit une œuvre apostolique. En ses mains Dieu et le Siège apostolique ont mis tous les pays slaves, pour que celui qu'il anathématisera soit anathématisé et que celui qu'il bénira soit sanctifié. » Ils se séparèrent alors, couverts de honte comme un brouillard.
CHAPITRE XIII.
Leur malice n'était pas encore satisfaite. Ils dirent: « l’empereur lut en veut et s'il l'attrape, il n'en sortira pas vivant. » Dieu miséricordieux ne voulut pas laisser son serviteur sous le coup d'un tel blâme; il mit une inspiration au cœur de l'empereur — car le cœur de l'empereur est toujours dans la main de Dieu — et celui-ci envoya la lettre suivante: « Révérend Père, je désire vivement te voir. Fais-nous donc ce plaisir et hâte-toi de venir auprès de nous pour que nous te voyions pendant que tu es encore de ce monde et que nous accueillions tes prières. » Méthode se rendit immédiatement là-bas et l'empereur le reçut avec beaucoup d'honneurs et beaucoup de joie. Il fit l'éloge de sa doctrine et garda auprès de lui un prêtre et un diacre, disciples de Méthode, munis de leurs livres. Autant Méthode forma de vœux, autant il en combla, ne lui refusant rien. L'ayant pris en affection et lui ayant remis de nombreux cadeaux, il l'accompagna de nouveau solennellement jusqu'à son siège, de même que le patriarche.
CHAPITRE XIV.
Au cours de tous [ses] voyages il courut bien des périls, du fait du diable, dans le désert parmi les bandits, sur mer au milieu des vagues déchainées par le vent, sur les fleuves sur des fonds sableux inattendus, de sorte que la parole de l'apôtre s'accomplit à son propos? En péril de la part des brigands, en péril sur la mer, en péril sur les fleuves, en péril parmi les faux frères, dans le travail et dans la peine, exposé à de nombreuses veilles, à la faim et à la soif, et à tous les autres tourments dont se souvient l'Apôtre.
CHAPITRE XV.
S'étant ensuite éloigné de tout bruit et s'en étant remis à Dieu de tous ses soucis, il désigna d'abord parmi ses disciples deux prêtres, scribes exercés, et traduisit rapidement du grec en slavon l'ensemble des livres [saints], ceux des Macchabées exceptés; [il mit] six mois, ayant commencé au mois de mars [et travaillé] jusqu'au vingt-sixième jour du mois d'octobre. Quand il eut terminé il rendit à Dieu les hommages qui lui étaient dus et il le glorifia pour lui avoir accordé pareille grâce et un tel succès. Ayant, avec son clergé, célébré les saints mystères, il honora la mémoire de Saint Démétrios. Avec le Philosophe il n'avait en effet traduit auparavant que le psautier et l'évangile ainsi que les écrits apostoliques et un choix de services ecclésiastiques. A cette époque il traduisit même le nomocanon, c'est-à-dire la règle de la loi, et les livres des Pères.
CHAPITRE XVI.
Quand le roi des Hongrois vint dans les régions danubiennes, il voulut le voir. Malgré certains qui disaient et pensaient qu'il ne serait pas aisément libéré, il (Méthode) se rendit auprès de lui. Et ce dernier le reçut comme un prince, avec honneur, solennité et gaité. Il lui parla comme on doit parler à de tels hommes et il le congédia affectueusement, lui disant en l'embrassant et en le comblant de dons: « Père vénérable, souviens-toi toujours de moi dans tes prières. »
CHAPITRE XVII.
Il liquida ainsi toutes les causes [de difficultés surgissant] de toutes parts; il ferma la bouche aux bavards et termina sa course, conservant la foi en attendant la couronne de justice. Et parce qu'il était particulièrement aimé et affectionné de Dieu, le moment commença à approcher où il se reposerait à l'abri des troubles et serait récompensé de tant de peines. On lui posa la question suivante: « Père vénérable, lequel de tes disciples juges-tu [digne] de te succéder dans ton enseignement? » Il leur montra l'un de ses disciples intimes, du nom de Gorazd, en disant: « Celui-ci est un homme libre de votre pays, très versé dans les livres latins et orthodoxe. [Son choix] fera donc la volonté de Dieu et sera agréable à vous comme à moi. »
Tout le peuple s'étant assemblé le dimanche des Rameaux, il alla à l'église, et si faible qu'il fût, il bénit l'empereur, le prince, le clergé et tous les assistants. Et il dit: «Mes enfants, gardez-moi jusqu'au troisième jour. » Il en fut ainsi. A l'aurore du troisième jour, il dit: « Seigneur, je remets mon âme entre vos mains. Dans les bras des prêtres il s'endormit le 6 avril, indiction troisième, l'an 6393 de la création du monde.
Ses disciples, après avoir tenu conseil et lui avoir rendu les honneurs qui lui étaient dus, célébrèrent le service ecclésiastique en latin, en grec et en slavon, et le déposèrent dans l'église cathédrale. Il rejoignit ainsi ses pères, les patriarches, les prophètes et les apôtres, les éducateurs et les martyrs. Le peuple, s'étant assemblé en une foule innombrable, l'accompagna avec des cierges, pleurant le bon maître et le bon pasteur; tous [étaient présents], hommes et femmes, petits et grands, riches et pauvres, libres et esclaves, veuves et orphelins, étrangers et indigènes, malades et bien portants; il était en effet devenu tout pour tous, afin de les conduire tous au salut.
Toi, donc, tête sainte et bienheureuse, dans tes prières regarde vers nous qui soupirons après toi, délivre tes disciples de tout danger, en étendant l'enseignement et en expulsant l'hérésie; ainsi pourrons-nous, après la vie de ce monde — comme il convient à notre vocation — nous tenir avec toi, nous qui sommes ton troupeau, debout à la droite du Christ notre Dieu, de qui nous aurons obtenu la vie éternelle. A lui gloire et honneur dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il!
[1] Tel est, du moins, le texte qu'on lit dans la plupart de manuscrits. Quelques uns ont pourtant au lieu de « patrices », « patriarche ». C'est évidemment une erreur.
[2] Ces mots rappellent étrangement les rapports de quelques écrivains arabes sur la propagande musulmane chez les Khazars. Les sources arabes relatives à la judaïsation des Khazars vont en effet jusqu'à affirmer que ce peuple n'obtint la paix qu'à condition d'embrasser l'islamisme.
[3] Les Manuscrits de rédaction russo-slavonne font dire par le conseiller à ses amis juifs que le Philosophe a abattu l'orgueil des Sarrasins.
[4] La légende ajoute même « sans eau ».
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